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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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C’est compris ?
    — Oui, très chère.
    — Et je crois que vous feriez bien de faire goûter
aussi votre part. Je n’ai jamais compris qu’on ne m’ait pas portée en terre
depuis des décennies, accablée que je suis par le cruel fardeau de devoir
superviser toute seule ce capharnaüm.
    — Allons, Ida, une fois de plus, je crois que vous
exagérez.
    — Comment osez-vous ? Je n’exagère jamais. Si vous
n’aviez pas gaspillé votre vie à trafiquer dans votre maudite cabane pour
apprendre à un singe à tenir un crayon, et Dieu sait encore quelles autres
folies stériles, vous sauriez que je dis la vérité. La situation de ce domaine
est si monstrueuse, et ce depuis le jour où je vous ai dit oui devant Dieu,
qu’un simple exposé des faits ressemblerait à un mélodrame à deux sous.
    — Je ne vous permettrai pas de noircir la valeur de mon
travail.
    — Dans ce cas, montrez-moi le résultat.
    — Je n’ai pas l’intention d’en discuter avec vous, Ida.
    — Soit ! » Elle s’installa majestueusement
dans la blancheur immaculée de ses oreillers rebondis et, les yeux
ostensiblement fermés, donna ses instructions : « À présent, sortez.
Donnez à manger à ce garçon. Même si tout le reste est parti à vau-l’eau, nous
pouvons encore prouver au monde que l’hospitalité sudiste continue de prévaloir
jusque dans la fumée et la poussière.
    — Bien dit.
    — Couchez mes mots sur le papier, afin que je puisse
les relire plus tard. »
    Ils se retirèrent en hâte, et Liberty n’en crut pas ses
oreilles d’entendre Grand-mère marmonner d’une voix somnolente, déjà presque
endormie, un unique mot, indélébile – et ce mot était :
« Merde. »
    Une fois dans le couloir, tandis que son grand-père se
débattait avec le loquet, bricolé à la diable avec de la ficelle et des clous
tordus, Liberty se surprenait à caresser l’idée d’abattre ses deux poings sur
la nuque si blanche de ce vieillard voûté, lorsque Maury lui décocha un regard
amusé et dit : « Elle nous enterrera tous. »
    Ce soir-là, après un plat tout à fait satisfaisant de
beignets et de poulet concocté à partir de rien par la taciturne femme au
singe, qui apparemment n’était pas la vieille Portia tant redoutée, et une
resucée, irriguée de mint-julep, des opinions monomaniaques de Maury sur
l’histoire, la nature, la politique et la religion – arrogant amalgame de
faits, de fantasmes et de folies qui aurait été risible s’il n’avait pas eu des
implications aussi mortelles –, Liberty fut conduit sans un mot par son
grand-père à une chambre de l’étage en laquelle il crut reconnaître celle de sa
mère. Il eut l’impression d’accéder au saint des saints d’un grand musée, où
seraient entreposées d’inestimables raretés interdites au public. Mais après une
longue, méthodique et respectueuse exploration de la pièce, il ne trouva pas
grand-chose qui ait pu sans équivoque appartenir à Roxana. Le secrétaire et la
malle au pied du lit étaient désespérément vides, ainsi que le placard, même
s’il parvint à y localiser la latte descellée sous laquelle, jadis, elle avait
dissimulé son précieux journal. Il n’y restait plus que des crottes de souris
séchées. C’était une pièce d’où toute trace d’une ancienne présence avait été
systématiquement éradiquée.
    Et puis il y avait le lit, le meuble principal. Il tourna
autour plusieurs fois, envisagea même de coucher sur le plancher, mais la
simple lassitude de ses os et de son cœur finit par le pousser vers les
séductions du matelas, où il resta gisant, telle une figure peinte sur le
couvercle d’un sarcophage, à méditer les insondables mystères du temps et de la
famille. Les fantasmes de vengeance qui brûlaient en lui, son grand projet
d’infliger personnellement une justice sublime et rigoureusement millimétrée
telle qu’on n’en voit généralement que dans les pages consolantes de mélodrames
échevelés ou dans les visions de comparutions posthumes au tribunal de Dieu,
lui semblaient à présent terriblement puérils et vains. Ces gens horribles qui
avaient acquis dans ses rêveries juvéniles, au fil d’années passées à rabâcher
les contes de leurs hauts faits légendaires, une aura d’invincibilité digne
d’un ogre ou d’un croquemitaine, n’étaient plus, à présent qu’il les voyait en
chair parcheminée et en os rouillés, que des créatures malingres et

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