La Prophétie des papes
dit :
« Voici lâhomme que je voulais que vous rencontriez. Chistopher Marlowe, je vous présente le docteur John Dee. »
Lâhomme barbu parut glisser jusquâà lui.
« Le jeune dramaturge et poète⦠Je suis très heureux de vous connaître, monsieur. »
Marlowe sentit lâexcitation du moment le submerger. Le grand astrologue lémure ! Lâastrologue de la reine !
« Non, monsieur, répondit-il en sâinclinant très bas, câest moi qui suis honoré et qui ai lâimmense privilège de vous rencontrer. »
Walsingham remplit un verre pour Dee tandis que Poley restait à sa place à côté du feu, sans être invité à se joindre au cercle.
« Alors la première de votre nouvelle pièce a eu lieu cet après-midi, ai-je entendu, déclara Dee.
â Oui, câest exact, dit Marlowe.
â Et comment a-t-elle été reçue ? demanda Walsingham.
â Le public a eu lâair dâapprécier, dit Marlowe avec modestie.
â Peut-être devrions-nous nous travestir et aller la voir nous-mêmes, suggéra Cecil à leur hôte.
â Je ne fréquente pas les théâtres à moins que la reine nâinsiste, dit Walsingham. Peut-être, maître Marlowe, auriez-vous lâamabilité dâinformer le docteur Dee sur la manière dont cette nouvelle production sert nos plus grands desseins. »
Marlowe hocha la tête.
« Certainement. Rien nâest plus important que notre mission et ma bien insignifiante pièce a seulement pour but de semer les graines sournoises de la confusion et de la haine.
â De quelle manière ? demanda Dee.
â Dâabord, elle parle du bien et du mal, et je suis heureux de vous informer que le mal, sous la forme de Lucifer, bat le bien à plates coutures. La damnation lâemporte nettement sur le salut, ce qui, sans aucun doute, fera naître un sentiment de désarroi et dâahurissement dans les masses.
â Bien, fit Dee. Très bien.
â Et jâai eu pour but dâembrouiller leur esprit sur ce qui constitue le concept essentiel de la doctrine protestante, la prédestination absolue. Je nâai pas besoin de vous rappeler que, dâaprès Calvin, Dieu seul choisit les hommes qui seront sauvés et ceux qui seront damnés. Lâhomme nâa aucun contrôle sur son destin ultime. Les papistes, bien entendu, considèrent cela comme une hérésie totale et, si un certain nombre dâentre eux voient la pièce, ils seront cruellement troublés. Les protestants dans le public verront dans le sort affreux de mon héros Faust, qui rejette Dieu mais qui plus tard est incapable de se repentir, un digne hommage rendu au calvinisme. Mais certains, je crois, seront au fond dâeux désespérés par la justesse du message et souffriront de grands tourments à lâidée que le repentir est sans effet et que leur destin est défini. Si tel est le cas, penseront-ils, alors pourquoi ne pas continuer à pécher ?
â Eh oui, pourquoi pas ? intervint Cecil.
â Même si nous avons le plus grand mépris pour les catholiques, je suis assez content de lancer des piques aux protestants également. Faust, dans un de ses discours, dit la chose suivante : âDu péché la mort est le salaireâ, câest dur. Si nous disons : âEn nous point de péchéâ, nous nous trompons et il nây a en nous point de vérité. Alors⦠parbleu⦠On ne peut que pécher et donc, il faut mourir. Hélas ! il faut mourir dâune mort éternelle. Lâétonnante doctrine ! Oh ! Que sera, sera. Advienne que pourra !
â Je vois bien comment cela va torturer leurs petits esprits fragiles, déclara Walsingham sur un ton approbateur.
â Et, en hommage à nos traditions, dit Marlowe, Faust convoque le diable en se tenant dans un cercle magique contenant les signes astrologiques du grand Balbilus. »
Dee tapa du poing sur lâaccoudoir de son fauteuil.
« Ah ! Cela me fait très plaisir ! Balbilus est mon héros. Il est certes perdu dans la mémoire des hommes ordinaires, mais il est pour toujours présent dans nos cÅurs. »
Dee laissa Walsingham remplir son verre à nouveau et dit :
« Avez-vous dit à Marlowe ce que
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