La Prophétie des papes
une immense vague venant se briser contre un rocher. Ses yeux passèrent de lâun à lâautre des squelettes jusquâà ce quâelle sente sa vue se troubler et ses genoux se liquéfier.
Père tout-puissant, donne-moi Ta force.
Comment nier lâévidence ? Chaque corps, chaque homme, femme, enfant étendu devant elle avait une queue osseuse.
5
J anko Mulej avait lâhabitude de faire craquer ses articulations lorsquâil sâimpatientait. Krek ne manqua pas de le remarquer.
« Quâest-ce que tu as ? » demanda Krek.
Mulej avait environ quarante ans, soit une dizaine dâannées de moins que son hôte, et il était aussi vilain que le cul dâun autobus, comme Krek aimait à le dire, même en face de Mulej. Il faisait presque deux fois la taille de Krek ; câétait un géant qui aurait été obligé de se promener en survêtement sâil nâavait pas eu cet excellent tailleur à Ljubljana.
« Peut-être que nous devrions nous arrêter là pour ce soir. »
La grande pièce du château des Krek ne se réchauffait jamais, même au plus fort de lâété, et, en ce soir de printemps, Krek avait jugé quâun feu était de mise. Il aimait que les flammes de son feu montent haut et toute la soirée il ajoutait de nouvelles bûches pour que la gigantesque cheminée ne cesse de ronfler.
Le manoir médiéval était dans sa famille depuis quatre cents ans, même si Krek ne lâavait pas possédé nominalement pendant les désagréables décennies du communisme. Niché au milieu de plusieurs centaines dâhectares de forêts slovènes, à quelques kilomètres du lac de Bled, son donjon original datait du XIII e siècle. Les douves profondes étaient bien fournies en carpes et, apparemment, la roche déchiquetée des murailles laissait supposer un état de délabrement avancé.
Cette impression sâeffaçait dès quâon y entrait. Le père de Krek avait été un ermite qui avait rarement quitté son domaine. Il avait consacré sa vie à le rénover, depuis ses fondations jusquâau toit. Son fils, quant à lui, avait été loin de bénéficier de la même attention. Ivo Krek sâétait focalisé sur les entrailles de la maison, la maçonnerie, la plomberie, le chauffage, lâélectricité. Son fils partageait la dévotion de son père pour le château, mais son regard averti se porta sur les meubles et décorations de lâère moderne. Les pièces de réception avec leurs arches romanes étaient somptueusement meublées dâantiquités authentiques, mais Krek y ajouta sa touche avec des pièces contemporaines confortables afin de rendre les lieux habitables. Des téléviseurs à écran plat cohabitaient avec des sculptures médiévales en noyer. Un meuble du XVI e siècle, dont les panneaux comportaient des scènes de chasse peintes, contenait une installation audio danoise à quatre cent mille euros. La cuisine dotée dâun équipement digne des plus grands chefs de renommée mondiale paraissait tout droit sortie des pages dâun magazine de décoration.
Il décida de recevoir Mulej et ses autres invités dans la grande pièce. Vu ses dimensions, les hommes sây sentaient minuscules, même quelquâun de la taille de Mulej, et Krek aimait que ses gens aient cette impression en sa présence.
Krek jeta un coup dâÅil sur la vieille pendule. Il était dix heures.
« Je suis debout depuis quatre heures et câest toi qui es fatigué ? demanda-t-il à Mulej, en élevant la voix. Tu ne sais donc pas ce qui est en jeu ? Tu nâas pas lâair de réaliser le peu de temps qui nous reste. »
Mulej déplaça son poids considérable sur la banquette en cuir. Il était assis trop près du feu et il transpirait abondamment ; mais il ne bougerait certainement pas puisque câétait là que Krek lâavait installé. La table posée entre eux était jonchée de hautes piles de dossiers épais, de rapports financiers et dâun assortiment de journaux.
« Bien sûr que je le sais, K, dit Mulej en essuyant son front humide avec son mouchoir trempé. Je suis désolé. Nous ferons tout ce que vous nous
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