La Prophétie des papes
étage de la Commission pontificale dâarchéologie sacrée sur la via Napoleone, une rue animée en pente douce. Dehors, tout était en mouvement, les voitures, les motos, les piétons. La cacophonie des moteurs et des gens faisait paraître la ville animée. à lâintérieur, le rythme était alangui. Les membres du personnel se promenaient dans les couloirs à une allure très ralentie. Les catacombes et les monuments étaient là depuis des siècles, pensaient-ils, alors pourquoi se presser ?
Elisabetta ne se laissa pas gagner par la torpeur. Là -bas, sur la piazza Mastai, ses cours se déroulaient sans elle. SÅur Marilena la remplaçait. Les enfants ne perdaient rien au change et ce nâétait pas là le problème majeur. Cette mission était un schisme, une déchirure dans le tissu de son âme, malgré toute la sinistre fascination quâelle comportait. Le déroulement de ses journées avait un but : servir Dieu. Pour la première fois depuis une douzaine dâannées, on lâavait forcée à abandonner son canot de sauvetage gentiment bercé par les vagues pour la plonger dans une mer inconnue.
Les livres et les papiers étalés sur son bureau venaient dâune autre époque, dâune autre Elisabetta. Elle reconnaissait son écriture, se rappelait les annotations quâelle y avait ajoutées, mais elles lui paraissaient étrangères. Elle leur en voulait, elle en voulait au professeur De Stefano et aux membres de la commission. Pour elle, ils participaient au complot qui visait à lâéloigner et à la priver de tout ce quâelle aimait. Même les membres du clergé à la Commission semblaient être les habitants dâun univers parallèle chargés de missions différentes de la sienne. Les religieuses ressemblaient plutôt à des secrétaires dont les yeux étaient rivés sur la pendule, les prêtres sentaient la cigarette et parlaient dâémissions de télévision dans le réfectoire. Il fallait quâelle finisse ce travail quâon lui avait assigné et quâelle retourne à sa précieuse normalité.
Elisabetta feuilletait son vieil exemplaire des Astronomica de Manilius lorsquâelle ressentit le besoin soudain de sâisoler totalement et de prier en silence.
Elle ferma les yeux et serra la croix quâelle portait autour du cou, si fort quâelle en eut mal à la main, cette main qui la faisait souvent souffrir depuis que sa paume avait été lacérée.
« Seigneur tout-puissant, jâai renoncé à toute pensée me concernant et concernant mon ancienne vie lorsque je me suis confiée à Ton esprit saint. Jâai confié mon cÅur au pouvoir de Ton amour. Ce cÅur qui a failli être percé par le couteau dâun assassin, ce cÅur tâappartient désormais. Reçois mes actes, mes épreuves, mes souffrances, pour que mon être tout entier puisse se consacrer à Tâaimer, Tâhonorer et rendre gloire à Ton nom très saint. Que je puisse Tâappartenir entièrement, vivre et mourir comme une de Tes dévouées servantes, telle est ma volonté. Fais que la paix mâhabite toujours. Que mon âme soit pure à jamais. Amen . »
Avant quâElisabetta ait le temps de rouvrir les yeux, des images troublantes commencèrent à envahir son esprit comme des visiteurs importuns. Des images de corps partiellement momifiés, pourvus de queues, flottèrent devant ses yeux.
Soudain, une image sâimposa à elle, un souvenir douloureux quâelle avait enfoui dans son inconscient : le dos à moitié dénudé de lâhomme qui lâavait poignardée, cette chose qui dépassait en bas de sa colonne, entourée de petits tatouages noirs qui ressemblaient tellement à un essaim dâinsectes en fureur.
Cette chose. Câétait bien une queue, nâest-ce pas ?
Soudain prise de vertige elle expira, sans se rendre compte que, pendant tout ce temps, elle avait retenu sa respiration.
Câétait comme si elle lâavait toujours su.
Elisabetta se sentit toute petite et vulnérable, un moineau emporté dans une tornade. Dieu était en elle. Il était tout autour dâelle. Mais, pour la première fois depuis longtemps, elle avait terriblement besoin dâune étreinte
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