La Prophétie des papes
de cuisines et une fine couche de cendres noires sâétait déposée sur les toits et les pavés comme une sinistre neige dâété.
Tout était desséché : la gorge des habitants, le sol sableux, les poutres et les chevrons fissurés des vieux immeubles. Lâeau, toujours importante à Rome, ne fut jamais aussi vitale que pendant la période de sécheresse de cet été brûlant, qui ne connut pas la moindre pluie.
Un millier dâaffranchis et dâesclaves travaillaient continûment dans les circuits dâeau et maintenaient les aqueducs, les réservoirs et les kilomètres de conduites en bon état. Une centaine dâédifices publics, cinq cents bassins et des douzaines de fontaines ornementales étaient alimentés jour et nuit en eau, mais depuis des semaines, le seul bruit émis par le système était un grondement.
Lâeau ne coulait pas comme elle lâaurait dû : elle gouttait. Les bassins étaient à un niveau dangereusement bas, les bains augmentaient leurs prix, les brasseurs facturaient plus cher leur bière. Les vigiles, les oiseaux de nuit de la ville, connaissaient le danger. Organisés en sept cohortes dâun millier dâhommes environ, ils dormaient le jour tandis que, la nuit, ils patrouillaient dans les ruelles sombres et dangereusement étroites de la vaste capitale, à lâaffût de départs de feu dans les maisons. Leurs seules armes efficaces étaient des seaux en bronze et en cuir quâils se passaient de main en main, formant des chaînes humaines qui partaient du bassin le plus proche, ou du Tibre, sâil était assez près. Mais en cette saison, les niveaux dâeau étaient trop bas pour que lâon puisse en espérer grand-chose. Et les vigiles savaient pourquoi. Il ne sâagissait pas que de la sécheresse.
Les ponctions étaient implacables et le commissaire à lâeau, un proche parent du préfet Tigellinus, était en train de sâenrichir.
Avant de décamper pour Antium quinze jours plus tôt, Néron avait dit à Tigellinus :
« Demande à ton beau-frère de saigner la ville à blanc. »
Et pratiquement du jour au lendemain, des dirigeants corrompus avaient ordonné à leurs équipes dâinstaller des tuyaux illégaux pour ponctionner lâeau. Des torrents dâeau non taxée allèrent aux corsaires lémures et les vigiles ne pouvaient faire grand-chose de plus que de se ronger les ongles jusquâau sang en regardant Rome se transformer en poudrière géante. Vingt-huit ans sâétaient écoulés depuis le dernier grand incendie.
Juillet était un mois de festivités et la saison des courses de chars battait son plein. Rien ne distrayait les masses des malheurs provoqués par la chaleur et lâhumidité aussi bien quâune journée sportive au Circus Maximus. Jusquâà deux cent mille Romains sâentassaient dans les gradins pour encourager une de leurs équipes, les Bleus, les Rouges, les Verts ou les Blancs, chacune contrôlée par une corporation. Des quadriges, des chars tirés par quatre chevaux, faisaient la course sur la longue piste étroite en forme de U et, si le conducteur et les animaux survivaient au virage en épingle à cheveux, le prix était important. En dessous des gradins se trouvaient plusieurs étages animés offrant des bars à vins, des échoppes qui servaient de la nourriture chaude, des boulangeries et de nombreux bordels.
Le jour était favorable à dâautres égards aussi. Balbilus avait dit à Néron que ce serait le cas, après avoir longuement réfléchi devant ses tableaux astrologiques. Sirius, lâétoile principale du Grand Chien, monta dans les cieux ce soir-là , marquant les jours les plus chauds de lâété. Mais, en plus, son chemin passait par la Maison de la mort. Ce point avait été décisif. Lâheure du destin avait sonné.
Cette nuit-là , la Lune était pleine, mais parce que le ciel était voilé de quelques nuages, elle donnait peu de lumière aux milliers de gens qui faisaient la queue devant les portes du Circus Maximus pour être certains dâentrer parmi les premiers.
Dans les entrailles du cirque, sous les loges, Vibius, la créature nocturne de Balbilus, et un autre homme débouchèrent
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