Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
Vom Netzwerk:
la tête qu’avaient ces Chinois qu’on disait si ridicules. Pour être le plus rapide sur l’océan. Pour gagner la course, remporter le challenge . Et au bout du compte vous retrouver.
    — Vous prétendez que vous avez fait construire vos bateaux pour mes beaux yeux ? Ne me prenez pas pour une idiote !
    Olympe s’est dressée, toute colère dehors. Mais, au fond, elle est troublée, bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. O’Neill a l’air sincère, ses yeux bleus qui ne la fuient pas la désarment. Jamais un homme ne lui a avoué qu’il traversait les océans dans le seul but de la retrouver et de se marier avec elle. Charles lui a dit maintes fois qu’il l’aimait, mais ils étaient déjà mariés et c’est elle qui était venue de l’autre côté de la planète pour le trouver. Même si elle s’efforce de n’y croire qu’à moitié, les mots de O’Neill lui procurent un léger vertige. Elle sait combien les Shanghailanders s’intéressent à elle, ils le lui ont fait comprendre plus d’unefois, cependant aucun n’a osé lui dire aussi franchement qu’il aimerait l’épouser. Il est vrai que l’homme qu’elle a devant elle n’est pas un de ces taipans anglais ou américains sûrs d’eux et de leur pouvoir comme l’était Elias Kassoun, certains que leur argent peut tout acheter, même la plus belle veuve de la ville. Et puis, c’est la première fois qu’un homme la demande en mariage.
    — Je crois que vous feriez mieux de prendre congé, monsieur O’Neill, finit-elle par dire en faisant un pas vers la porte. Vous avez proféré assez de bêtises pour ce soir et je n’ai aucune envie de me fâcher avec vous.
    — Vous avez tort de ne pas me croire, Olympe. C’est pourtant simple : je vous aime.
    — Partez, avant qu’il soit trop tard, répond-elle d’une voix moins ferme qu’elle ne l’aurait voulu.
    Avant de franchir la porte, Patrick O’Neill la contemple longuement avec la gravité des vaincus, comme s’il la voyait pour la dernière fois, et le regard qu’il pose sur elle lui donne la chair de poule. « Et si c’était vrai ? se demande-t-elle. Et s’il voulait vraiment m’arracher à ma solitude ? » Les mots de l’Américain lui donnent brutalement conscience de l’étroitesse de sa vie. Derrière les apparences, la réussite, le travail, sa solitude est là, entière, invisible et massive. Elle ne vit en réalité que pour les autres et si peu pour elle. Un sacrifice inconscient qu’elle a consenti sans même s’en rendre compte à la mort de Charles mais qui, elle le réalise seulement maintenant, l’a coupée de la vie. À moins que ce ne soit le refus de l’affronter à nouveau, la vie, avec tout ce qu’elle suppose d’inconnu et de dérangeant, à commencer par un homme.
    Est-ce l’apparition inattendue de cette vérité qui l’étourdit quand elle regagne sa chambre ou le parfum puissant – mélange de goudron, d’embruns, de laine humide – que O’Neill a laissé derrière lui ?

 
     
     
     
     
     
     
    6.
     
     
     
    — Vous ne pouvez rien contre nous, Huang Jinrong, dit Joseph Liu. Je vous conseille de vous en souvenir.
    Il fait appel à toutes ses ressources intérieures pour conserver son calme face à cet homme qui prétend s’appeler Huang. La vulgarité du visage de son interlocuteur, son sourire en coin, vaguement menaçant, ses yeux exorbités ne l’y encouragent pas. Il aurait envie de le faire jeter dehors par l’un de ses adjoints. Mais son mépris des méthodes violentes, son penchant pour la négociation et la certitude que l’attitude la plus morale finit toujours par l’emporter le poussent à tenter de convaincre Huang de la fragilité de sa position.
    — Vous commettez une grosse erreur, Liu Pu-zhai, répond Huang.
    Quand il a demandé à être reçu par le directeur général de la Compagnie du Yangzi sans avoir pris de rendez-vous préalable, Joseph Liu a cru accueillir un nouveau client et l’a prié de s’asseoir. Il ne s’attendait pas à se retrouver devant un envoyé du chef du Qing Bang, la Bande verte, venu exiger dix mille taëls pour leur société de bienfaisance, en réalité une triade de la pire espèce. Il a bien entendu parler de cette confrérie qui trafique le sel sur le Yangzi mais n’imaginait pas un instant qu’elle se soitimplantée dans la concession française et essaye, par le chantage et la menace, de prélever un pourcentage sur le chiffre d’affaires des

Weitere Kostenlose Bücher