La reine du Yangzi
répondre qu’il n’en connaît aucun quand Louis lui coupe la parole :
— Et après, il te ramènera dans ta chambre, c’est ce qui est prévu ? demande-t-il à sa mère.
— Louis ! s’exclame Laure, interloquée.
— Arrête de jouer les mijaurées, toi ! s’écrie-t-il en se tournant vers sa sœur. Tu sais très bien que ce monsieur est le « fiancé » de maman.
Olympe comprend que la situation lui échappe et queLouis, pour une raison qu’elle ignore, s’apprête à dire ce qu’il a sur le cœur. Elle ne veut ni le laisser faire ni gâcher leur déjeuner, encore moins donner à Patrick l’impression qu’elle n’a aucune autorité sur son fils. Sous les yeux légèrement inquiets de son amant qui ne s’attendait pas à être la cause d’un drame familial, elle se redresse sur sa chaise.
— Et alors ! s’exclame-t-elle. Je n’ai pas le droit d’avoir un amant, peut-être ? Tu veux me l’interdire ? À quel titre ? Parce que tu es mon fils ? Ce n’est pas un motif suffisant. Oui, j’aime Patrick. Après huit ans passés à vivre avec le souvenir de votre père, j’estime avoir le droit de jouir de l’existence, que cela te plaise ou non. Quand Patrick est arrivé, je n’ai pas eu envie de le repousser et je me passe de ta permission.
Elle espère que sa franchise calmera Louis mais c’est le contraire qui se produit. Il se penche vers sa mère, les yeux fixes.
— Et que comptez-vous faire tous les deux ? questionne-t-il durement. Vous marier ?
Olympe s’attend depuis longtemps à cette question. Elle sait ce qu’elle signifie pour Louis qui doit craindre qu’elle change de nom, qu’elle veuille donner un enfant à O’Neill ou encore l’associer dans la Compagnie du Yangzi. Un afflux de tendresse pour son fils, qui ne s’est jamais remis de la perte de son père et qui redoute de le voir remplacé par un étranger, la submerge. Un sourire affectueux se dessine sur ses lèvres quand elle lui répond :
— Non, mon chéri. Je n’ai pas l’intention d’épouser Patrick malgré ses demandes répétées. Je crois qu’il a compris pourquoi et qu’il l’accepte. Vous n’avez rien à craindre, je resterai Mme Esparnac.
Laure a l’air soulagé et tourne un visage souriant vers Patrick, mais Louis semble encore plus enragé.
—Cela ne t’empêche pas de coucher avec lui ! grommelle-t-il.
Olympe croit avoir mal entendu mais l’air de défi de son fils confirme ses paroles.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ? crie-t-elle. Comment oses-tu me parler ainsi ? Qui es-tu pour me juger ?
Comme un ressort trop longtemps bridé, Louis se lève et jette sa serviette sur son assiette.
— Je ne veux pas que cet Américain couche dans le lit de mon père ! hurle-t-il.
Stupéfait, Patrick se lève à son tour. Choqué de voir la femme qu’il aime insultée par son fils, il veut répondre, mais Olympe s’est déjà dressée, livide, et désigne la porte du doigt.
— Va-t’en ! hurle-t-elle. Tu n’as plus rien à faire dans cette maison !
— Arrêtez ! crie Laure, en larmes. Arrêtez, je vous en prie.
Elle tente de retenir son frère, il la repousse, atteint la porte en trois enjambées et sort. Horrifiée, Olympe réalise que les mots qu’elle vient de prononcer vont lui coûter son fils. D’un coup, elle comprend que Louis n’a fait qu’exprimer sa jalousie pour l’homme qui vient lui prendre sa mère. Elle voudrait le retenir, lui crier qu’elle l’aime plus que tout, qu’elle ne veut pas qu’il parte, mais Louis est déjà dans le hall d’entrée. Statue de sel au milieu du silence soudain, elle sent son cœur, une nouvelle fois, se briser. Patrick lui-même n’ose faire le moindre mouvement et c’est seulement quand Laure se précipite derrière son frère qu’il se ressaisit et la suit. Mais Louis a déjà claqué avec fracas la porte d’entrée, il file vers la grille et, une fois dans la rue déserte de ce dimanche d’octobre, se met à courir aussi vite qu’il le peut, fugitif de lui-même, décidé à ne plus jamais remettre les pieds dans la maison familiale.
15.
Laure a tout tenté pour faire revenir son frère rue Discry, mais Louis refuse obstinément de quitter le yamen de Joseph et Marie-Thérèse Liu où il s’est réfugié.
— Il veut rester chez eux, sanglote-t-elle. Il dit que sa vraie maison est là-bas maintenant.
Alors qu’Olympe veut la prendre dans ses bras,
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