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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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triste.
    Plus tard ce jour-là, Amparo était revenue sur les quais et le vieil homme, sans qu’on le lui ait demandé, avait exécuté un spectacle dans son théâtre d’ombres, braillant un fantastique mélange de langues. Cela semblait dresser le portrait d’un homme riche qui demandait à un pauvre de mourir à sa place, avec la promesse d’une grande récompense dans un autre monde béni, mais si le sens en était tout sauf clair, la chorégraphie de ses marionnettes de papier avait empli Amparo de délices. Quand elle lui avait fait signe qu’elle n’avait pas la moindre pièce à lui donner, le karagozi était tombé à ses genoux et lui avait baisé les pieds. Elle ne l’avait plus revu depuis que les soldats l’avaient traîné dans leur rue le jour de la bataille.
    « Où est-il maintenant ? demanda-t-elle.
    – En enfer, répondit le garçon.
    – Non », s’exclama-t-elle. Cette pensée la blessait. « L’enfer n’a pas été fait pour une telle âme. »
    Il réfléchit ; et peut-être était-il d’accord. « Mais, pour sûr, le karagozi est mort », dit-il. Il mima un nœud enserrant sa gorge et baissa subitement la tête, elle frémit. Le garçon sourit, comme si c’était ce qui faisait de lui un homme et d’elle une simple fille. Puis ses yeux distinguèrent quelque chose dans le noir, et il mit un index devant ses lèvres et, de l’autre, désigna le sol.
    « Regardez », dit-il.
    Sous la pâle lueur de la lune, un long et mince lézard se faufilait sur le quai et s’arrêta à deux pas pour les observer de ses yeux protubérants. Le garçon plongea, lança sa main et Amparo cria : « Non ! », mais il l’avait saisi par la queue. Le lézard gigotait et le bout de sa queue lui resta dans la main. La créature coupée disparut dans l’obscurité. Le garçon s’accroupit à côté d’elle et lui montra la chose écailleuse.
    « Gremxola, dit-il. Très malin. Ils se brisent pour pouvoir vivre. Ils survivent. »
    Il balança la queue dans le noir et la regarda, leurs visages au même niveau.
    « Ainsi, dit-il, ils vous ont mise dehors. »
    Amparo haussa les sourcils à cette absurdité. Il lui adressa un sourire chagrin, ses dents blanches et inégales dans son visage tanné de soleil.
    « Moi aussi. Dedans, dehors. Dedans, dehors. C’est le jeu. Mais je suis pas triste. Quand les Turcs en auront tué beaucoup, beaucoup, les chevaliers me laisseront combattre avec eux en première ligne et si je meurs pas, je deviendrai un grand homme aussi. C’est comme ça qu’on avance dans la vie, en tuant beaucoup. Tannhauser, La Valette, tous. Pour les tueurs, le monde est ouvert – il est libre – et je veux le voir. Cette île, c’est tout ce que je connais. Elle est petite. Elle est méchante. Chaque jour est le même que le suivant.
    – Aucun jour n’est le même que le suivant », murmura Amparo.
    Le garçon ne se découragea pas. « Vous avez vu le monde. Est-il aussi grand qu’ils disent ?
    – Plus grand que qui que ce soit puisse savoir, dit-elle. Il est beau et il est cruel.
    – Il y a beaucoup d’arbres verts, dit-il pour prouver son savoir. Plus que l’on peut en voir à cheval en une semaine. Et il y a des montagnes trop hautes pour qu’on y grimpe. Et de la neige.
    – Des arbres et de la neige et des fleurs et des rivières si larges qu’on ne peut pas en voir l’autre rive », acquiesça Amparo. Le garçon hocha la tête comme si cela confirmait ce qu’il avait entendu. Dans ses yeux brillait la passion d’un rêve fabuleux, et la pensée que leur lumière pourrait s’éteindre la rendit triste. « Et si jamais tu meurs ici, dans cette guerre ? dit-elle.
    – Je serai accueilli au paradis par Jésus et ses Apôtres, répondit-il en faisant le signe de croix. Mais je suis trop malin pour mourir, comme le gremxola. C’est vous qui êtes en danger. Vous me croyez pas, mais vous inquiétez pas, je connais Guzman, un abanderado du tercio de Naples, et il connaît le taureau anglais – Barras ?
    – Bors, corrigea Amparo.
    – Bors, oui. Je demanderai à Guzman de parler à Bors, et ils vous feront rentrer. Tannhauser ne vous laisserait pas vivre sur les quais, ça, j’en suis sûr, mais peut-être qu’il est là dehors (il lança un bras vers l’obscurité au-delà de la baie), en train de tuer des généraux turcs ou de mettre le feu à leurs navires. »
    Comme ses fantasmes devenaient extravagants,

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