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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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paisibles, si innocents de toute préoccupation et même de toute connaissance de la folie dans laquelle elle était venue se jeter – si semblables à ceux d’une enfant – qu’il ne pouvait se résoudre à l’extraire d’un tel éden. Et cette pulsion de retenue lui était si peu habituelle qu’il se demanda si ce sentiment, au fond de son cœur, n’était pas de l’amour. Il l’observa plus attentivement : les plis estompés qui encerclaient sa gorge, les textures variées de son teint parfait, les doux contours de son ventre, la luisance sur le renflement de ses cuisses, ses poils pubiens. De ses lèvres, il caressa les siennes, si doucement qu’elle ne bougea pas. Il ferma un instant les yeux et s’assit, dos au mur.
    C’était absurde. Quel genre d’homme était-il en train de devenir ? Ils n’avaient quasiment pas quitté la chambre depuis deux jours, une indulgence louable même selon ses normes, et cela lui avait troublé l’esprit. Aussi furtivement que possible, il se leva. Il se retourna et la regarda. Il l’embrassa à nouveau. Troublé, oui, vraiment. Il entendit un cliquetis d’armures et des protestations de désespoir étouffées dans la rue en bas, et même s’il savait ce qu’il allait trouver, il s’approcha de la fenêtre.
    Deux sergents d’armes de la Religion, apparemment aragonais par leur uniforme, faisaient avancer un Turc nu et entravé dans la rue Majistral. Les cicatrices qui ridaient son dos, comme une infection sous-cutanée boursouflée de vers, le désignaient comme étant un galérien. Dans sa bouche, un nœud de cordage étouffait les prières qu’il essayait de dire en route vers le gibet. En application du décret de La Valette, cet esclave était le dix-neuvième musulman à être pendu depuis que le marionnettiste avait été balancé du bastion de Provence. L’inconvénient majeur de ce décret était que les condamnés passaient sous leur fenêtre tous les matins, et Tannhauser prit note de demander à Starkey si l’on ne pouvait pas emprunter un autre itinéraire. Le dix-neuvième esclave lui remémora qu’il s’était déjà bien trop attardé à Malte.
    Il avait battu la ville de haut en bas pour trouver le nom – et même moins qu’un nom, un souvenir, une trace, une rumeur – d’un garçon né la veille de la Toussaint en l’an 1552, et n’avait rien trouvé. Si le fils de Carla était encore en vie, Tannhauser doutait qu’il soit encore sur l’île. Il avait envisagé de persuader Carla de partir immédiatement, avant que la guerre ne les dévore, mais sa fierté rechignait à accepter la défaite. Et de toute manière, Carla n’abandonnerait pas. Il ramassa ses bottes et ses vêtements sur le plancher de chêne nu, et, tout aussi nu, descendit l’escalier.
    Dans le jardin sur l’arrière de l’auberge, il avait fait installer par deux esclaves une double barrique pleine d’eau de mer. Dans le sol sous cette baignoire, Tannhauser et Bors avaient enterré un coffre contenant cinquante livres de leur opium. Au fur et à mesure que la guerre avancerait, sa valeur irait croissant, et ils pensaient se faire une fortune le jour de leur départ. Tannhauser soulagea sa vessie dans la poussière et enjamba le tonneau, pestant contre le froid saisissant de l’eau. Il s’accroupit lentement, jusqu’à avoir de l’eau salée au ras de la gorge, et il s’installa pour contempler le ciel qui passait d’un rose nacré teinté de gris à un tendre bleu pâle. Il allait passer le reste de la journée dans une chaleur étouffante et, dans ces moments glacés, il éprouvait une nostalgie réconfortante pour la montagne et la neige. C’était grâce à cette baignoire, du moins en partie, que son histoire avec Amparo avait commencé.
     
    UN MATIN où il trempait dans l’eau, elle était assise sur le mur du jardin, comme si, pour elle, les murs n’avaient été construits que dans ce but précis, et elle s’était approchée de la barrique sans la moindre honte ni timidité apparente pour admirer ses tatouages.
    Il lui avait expliqué la signification des tatouages, et lui avait un peu parlé du culte sacré des janissaires, qui vivaient dans des casernes avec leurs babas , leurs pères derviches, fuyaient la compagnie des femmes, récitaient des poèmes autour de leurs feux de camp, et souhaitaient plus que tout autre chose mourir au service d’Allah. Mais alors qu’elle ne feignait même pas le plus petit soupçon

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