La Religion
braillant comme pour les inviter à la danse. Dans ces cris, Tannhauser percevait un brouhaha de prières en latin et en diverses langues profanes. À sainte Catherine et à sainte Agathe. À saint Iago et à saint Pablo. Au Christ et au Baptiste. Priez pour nous pauvres pécheurs. Que ton règne arrive. Que ta volonté soit faite. Maintenant et à l’heure de notre mort. Amen. L’invocation la plus populaire, comme si l’homme était déjà béatifié, allait à La Valette et à la Sainte Religion.
À une soixantaine de pas, les premiers rangs lâchèrent une pluie de humbaras , leurs mèches enflammées laissant des traînées d’étincelles. Tannhauser les regarda suivre une courbe en l’air, prêt à bondir pour s’écarter, mais la chance était avec lui. Elles passèrent au-dessus de sa tête et il sentit des vagues de chaleur intense et entendit des cris d’horreur et de panique, mais il ne se retourna pas. Au même instant, les esclaves du diable dans les équipes d’artificiers de l’ordre lâchèrent des torrents grinçants de mort liquide avec leurs trompes, et d’énormes arceaux brûlants tracèrent des spirales jaunes en s’élançant dans les airs. Les janissaires en rangs serrés furent pris par deux ou trois dans ces cercles de flammes. Leurs robes de coton bleu s’enflammèrent comme si elles étaient faites de papier, et, ainsi que des damnés enchaînés ensemble pour leur perdition, ils s’entredéchiraient, se tordant, brûlant, mourant.
De chaque côté, la brillance était si violente que le champ de bataille était aussi incandescent qu’un soleil de midi. À travers cet holocauste, l’avant-garde de cette marée humaine continuait à rugir, inébranlable. Ils brandissaient un échantillonnage complet d’armes et, avec leurs yeux fébriles, leurs longues moustaches et leurs bonnets blancs ornés de cuillers de bois, ils évoquaient une foule de cuisiniers déments qu’on aurait bannis des fourneaux d’une maison de fous. Ils se répandirent dans la douve. Ils chargèrent sur les ponts en flammes. Ils traversèrent les passages débordant de feu.
Tannhauser fit face à son premier adversaire émergeant de la horde qui sortait de l’entonnoir. L’homme portait des bottes noires – le commandant de l’ orta . Il brandissait une lance mizrak par-dessus son bouclier rectangulaire des Balkans. Tannhauser fit un pas en avant sur le tablier pour se donner de l’espace et laissa la masse pendre le long de sa cuisse. Il ouvrit sa poitrine, juste assez pour attirer la lance, et, quand le coup vers le bas arriva, il recula sa jambe droite, pivotant pour se mettre en oblique, et détourna la hampe d’un coup d’épée pour enfoncer la pointe de la masse dans l’aisselle ainsi exposée, faisant glisser son poing autour du manche pour avoir une prise plus courte. L’homme beugla, comme tout homme l’aurait fait. Son poumon éclata, ses pieds quittèrent le sol, et, pendant qu’il le poussait en arrière et vers le bas, Tannhauser lui passa l’épée au travers de la gorge, le décapitant à moitié.
Il s’écarta du jet de sang, releva son épée pour bloquer un coup de cimeterre venu d’au-dessus et accompagna le mouvement de sa tête en tendant les jambes, enfonçant la crête de son casque dans un visage. Du sang et de la sueur volèrent, et il suivit avec la masse, toujours tenue courte, enfonçant la pointe sous la mâchoire de l’homme ; il entendit le craquement des os. L’homme ouvrit la bouche comme un thon embroché, du sang dégoulinant de ses narines et de ses yeux. Tannhauser s’abrita derrière cette nouvelle proie pour s’enfoncer dans la mêlée, inspirant et expirant, tandis que des lames turques tranchaient les bras de l’homme, répondant de son épée milanaise sur une cotte de mailles, raclant l’acier qui perça un ventre et rencontra des vertèbres. Il ressortit sa lame en la tournant, et balança son bouclier humain démembré au pied du suivant qui chargeait. Il trébucha et tomba à quatre pattes. Tannhauser prit le manche de la masse plus bas et le matraqua, le tuant d’un coup, les lames mordant l’arrière de son crâne et teintant le bonnet blanc de rouge.
Redresse-toi, inspire et expire, secoue la sueur. Sa respiration était bruyante. Sa poitrine était contractée, sa gorge comme écorchée. Il se sentait nauséeux et faible. Il était beaucoup trop avancé. Recule.
La horde se pressait épaule contre
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