La Religion
soleil. Avec des plaisanteries affreuses et en débattant sur la charge de poudre la plus adéquate, les canonniers saisissaient les têtes coupées par leurs barbes et les enfonçaient, quatre ou cinq à la fois, dans les gueules des canons. Il y en avait des douzaines, des douzaines de têtes, plus que Starkey ne pouvait se résoudre à en compter, et il se demanda quelle impulsion de pénitent le poussait à être le témoin de ce crime. Certainement celle, au moins, de celui qui considérait qu’il devait être là ; car, tout aussi certainement, Jésus en était également le témoin affligé.
L’AUBE AVAIT VU quatre planches de bois s’échouer sur le rivage de L’Isola. Nul ne savait combien d’autres planches avaient été lancées à la mer. Chaque planche portait le corps crucifié, nu et décapité, d’un chevalier de l’ordre. Une croix avait été plantée dans la chair de chaque poitrine blême. Des lamentations s’élevèrent, et avec elles le poison de la haine envers le Turc. La Valette reçut cette nouvelle au moment où il sortait pour assister à la messe de l’aube. En voyant les cadavres mutilés, des larmes de rage et de chagrin avaient voilé ses yeux. Sourd aux conseils de Starkey, il avait ordonné que chaque prisonnier turc capturé depuis le début du siège soit sorti des geôles et décapité.
« Tous ? » demanda Starkey.
La Valette répondit : « Que le jugement soit rendu par le peuple. »
Cette décision fut rendue publique et les Maltais répondirent à l’appel. Les prisonniers furent traînés jusqu’à la plage et là, avec le zèle des forces du diable, les exécuteurs balancèrent leurs épées au travers des chairs et des os. Les Turcs enchaînés qui appelaient Allah furent voués aux plus brûlantes flammes de l’enfer pendant qu’on les décapitait. Certains s’enfuirent, cliquetant dans l’eau, et furent massacrés dans les vagues comme du gibier coincé. Ceux qui refusaient de s’agenouiller étaient frappés aux chevilles, aplatis au sol et décapités avec le visage enfoncé dans le sable. Le courage stoïque et les supplications pour la clémence étaient regardés avec un même mépris, car ce n’était pas des hommes, mais des musulmans ; il s’agissait de l’œuvre du Seigneur, et aucun des tueurs n’avait le moindre doute : Dieu souriait en les regardant faire.
Quand les derniers cris furent réduits au silence, que les tendons les plus tenaces furent tranchés, les cadavres emportés par la marée, les têtes soulevées par leurs chevelures sanglantes et mises dans des sacs, une immense flaque couleur bourgogne teintait le rivage et Starkey ne parvenait pas à effacer le sentiment que son âme était entachée de la même manière.
LA BATTERIE SUR le cavalier de Saint-Ange vomissait maintenant derrière lui. Une pluie de crânes fumants, dont certaines barbes et chevelures étaient enflammées, jaillissait des gueules de canons et partait en un immense arc de cercle qui franchissait la baie vers les lignes turques. Des cris malveillants les accompagnaient. Si Mustapha se voulait amateur d’atrocités, qu’il prenne leçon auprès des maîtres de cet art. La Valette ne montrait plus aucun signe d’émotion. Pendant que les artilleurs bourraient les canons et que les chargeurs ramassaient d’autres têtes dans les horribles piles, Starkey dit, en latin : « Et beaucoup se réjouiront au jour de son anniversaire. »
La Valette le fixa.
Starkey vacilla sous ce regard. Il ajouta : « Ainsi parlait l’archange Gabriel à propos de Jean le Baptiste.
« Beaucoup se réjouiront de la mort de chaque musulman sur cette île », dit La Valette.
Sur ces entrefaites, La Valette descendit sur la place principale avec sa suite et fit une annonce à la foule, déclarant qu’à partir de maintenant chaque Turc capturé, une fois le travail des tortionnaires achevé, serait livré au peuple, sans quartier, pour être mis en pièces selon leur convenance. Starkey regarda la populace pousser des cris de joie, louer son nom et remercier Dieu. Puis il s’éloigna. Par cet appel à une sauvagerie atroce, une défaite avait été changée en une espèce de victoire. Mais une victoire sur quoi, Starkey n’osait même pas y penser. Seul La Valette savait comment leur donner une chance de survivre. Starkey n’en doutait pas. Mais il remerciait son Seigneur Jésus-Christ que son propre devoir fût de suivre et
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