La Religion
miséricorde. »
Comme s’il lisait dans ses pensées, Anacleto lui demanda : « Vous voulez que je tue l’Allemand ? »
L’humeur de Ludovico remonta soudain. La fermeté d’âme du jeune homme avait stimulé la sienne. Il allait cesser de se morfondre comme une fille. Il arbora un sourire. « Tu es un pilier de ma force, dit-il, et pour répondre à ta question, non. Ce n’est pas le bon moment. Et Tannhauser peut encore nous servir.
– Comment cela ? » demanda Anacleto.
Ludovico garda ses intentions par-devers lui. « Dieu répondra à cette question en temps voulu. »
SAMEDI 18 AOÛT 1565
Le bastion d’Allemagne – Le bain
– Le bastion de Castille
PARMI LES NOMBREUX problèmes et énigmes qui perturbaient Tannhauser depuis son retour, une question prenait le pas sur toutes les autres : comment ressortir en emmenant Carla, Amparo et Bors avec lui. Le plaisir d’être à nouveau réuni avec ses compagnons ne durerait pas longtemps si leur destination, comme il semblait fort probable, était une fosse commune. Mais les choses ne se produisent pas simplement parce qu’on les désire ardemment, et même un homme aussi intrépide que lui pouvait se retrouver victime des circonstances.
La légère euphorie qui avait accompagné son retour avait été bannie par l’état de faiblesse que les fièvres lui avaient légué, et qui avait fait un retour vengeur à la suite des rigueurs de son trajet depuis Mdina. Pour qu’il puisse s’installer d’une manière acceptable, Bors avait expulsé plusieurs hommes de troupe des appartements de Starkey, et Tannhauser s’était résolu à bien manger, à lire les œuvres de Roger Bacon, dont Starkey avait une excellente édition en italien, et, armé de bouchons d’oreilles en cire d’abeille contre le bruit des bombardements, à dormir le plus possible durant la journée. Ce programme éclairé et reconstituant avait été interrompu par des appels à une série d’ennuyeuses conversations avec le grand maître La Valette.
Ces discussions avaient lieu au quartier général de La Valette, qui avait été déplacé de la place forte de Saint-Ange vers la piazza centrale de la ville. Même si cela avait été largement interprété comme un geste de camaraderie envers la population dévastée, il devint vite clair pour Tannhauser que La Valette voulait tout simplement être plus proche de l’action. Il était presque le seul de toute la garnison dont la vitalité n’avait pas diminué – il avait même l’air d’avoir dix ans de moins – et il soumettait Tannhauser à de longs entretiens sur les pertes turques, leur moral, leurs réserves de munitions et de vivres, la condition de leur artillerie, les techniques des ingénieurs mamelouks qui creusaient, à cet instant précis, des galeries de mine vers les murs de la ville, et sur les intentions tactiques de Mustapha. Ces dernières semblaient évidentes à Tannhauser : Mustapha allait continuer à expédier des boulets et des corps humains contre les remparts, jusqu’à être à court des deux, ou que les murailles cèdent. Les messages apportés par Gullu Cakie incluaient une lettre de Garcia de Toledo en Sicile. Dans celle-ci, Toledo promettait d’envoyer dix mille hommes vers la fin août ; mais, comme une promesse similaire avait été faite au mois de juin, et jamais tenue, ni La Valette ni personne n’en croyait un mot.
« Le prestige de Toledo survivrait à la perte de Malte, avait dit La Valette, mais pas à la perte de la flotte espagnole. » Il avait ajouté, sans regret discernable : « Nous sommes seuls. »
Le 12 août, La Valette avait révélé au public la bulle papale promulguée à leur intention par sa sainteté Pie IV. Ce document garantissait à tout un chacun le pardon de ses péchés et une entrée immédiate au paradis au cas où ils mourraient durant cette guerre sainte. Le vélin était exposé à San Lorenzo, où les fidèles pouvaient admirer la magnifique transcription en latin, et le sceau de cire rouge voilé de soie portant l’empreinte de l’anneau du Pêcheur. Les résultats avaient été tout à fait remarquables, mais Tannhauser n’avait aucune intention d’être enterré dans ce mausolée avec les fidèles.
Il ne voyait aucune bonne raison pour que le bateau qu’il avait volé et caché dans le hameau de Zonra deux mois auparavant ne soit plus là où il l’avait laissé. Le problème,
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