La Religion

intérieure du mur, à quarante pieds en dessous. Le revêtement était composé de blocs massifs de calcaire, de tailles variables, jusqu’à trois pieds sur deux, et cimenté de poudre de pierre de taille.
    « Quelle est l’épaisseur du mur à sa base ? demanda-t-il.
    – Au-delà du revêtement ? dit Starkey. Environ douze pieds. »
    L’idée dans la tête de Tannhauser s’étiolait peu à peu, mais La Valette le regarda et Tannhauser vit qu’il l’avait suivie et qu’il faisait déjà des calculs pour la mettre en œuvre.
    « Quand Soliman a envahi la Hongrie en 1532, dit Tannhauser, le combat le plus dur a eu lieu pour une petite ville de si peu d’importance que je ne me rappelle même pas son nom. Guntz ? Peu importe. Huit cents défenseurs ont tenu le coup face à trente mille Tartares et Ruméliens pendant plus d’une semaine. À un moment, comme je l’ai entendu raconter, les Magyars ont percé une ouverture à travers leur propre enceinte pour pouvoir y traîner leurs canons et accueillir la charge ennemie à bout portant. »
    Bors et Starkey regardèrent en même temps les gros blocs en bas, puis relevèrent simultanément la tête vers le poids titanesque de maçonnerie au-dessus.
    « C’était sans aucun doute un mur très faible, ajouta Tannhauser, et je ne suis pas ingénieur. Mais s’il était possible d’ouvrir un passage à travers douze pieds de pierre sans être vu, puis d’amener un canon de seize livres, vous pourriez éclater les jambes de cette tour, et la regarder tomber.
    – M’ouais, grogna Bors, si nous n’avons pas d’abord vu dégringoler le mur, et le bastion avec. »
    Starkey semblait vouloir émettre ses propres objections quand La Valette se mit à descendre l’escalier en claudiquant, avec ce fanatisme du but qui caractérisait sa plus grande bonne humeur. Il s’arrêta et se retourna vers Tannhauser.
    « Capitaine, à propos de père Guillaume, dit-il.
    – J’ai peur de ne pas connaître l’homme, Votre Excellence.
    – Vous vous êtes privé vous-même de cette opportunité. Vous l’avez abattu, hier. Le chapelain au poste de Castille. »
    Tannhauser se souvint de la quasi-déroute, et du prêtre pris de panique. Cela semblait dater de plusieurs semaines, mais cela ne faisait même pas vingt-quatre heures. Il allait se lancer dans un discours disculpant sur le chaos de la bataille, la fumée de la guerre et le peu de fiabilité des armes à feu quand La Valette leva la paume.
    « Je suis certain que votre conscience est troublée, dit le grand maître.
    – Très amèrement, Votre Excellence, très amèrement. »
    Tous deux savaient que c’était un mensonge éhonté.
    « Eh bien, cessez de l’être, dit La Valette. Le père Guillaume avait perdu la raison, paix à son âme. Le coup était très avisé.
    – Merci, sire.
    – Mais ne faites pas d’excès de zèle. Nous avons besoin de chaque homme, nos prêtres inclus. »
    Tannhauser étudiait ses yeux. Était-ce une référence codée à sa tentative de meurtre sur Ludovico ? C’était impossible à dire. L’affaire s’arrêta là, quand La Valette se tourna vers Starkey.
    « Faites venir le maître maçon et son équipe », dit-il.
     
    COMME IL AVAIT LE SENTIMENT de l’avoir bien mérité, et puisque ce perchoir était à l’ombre et confortable, et nanti d’une bonne vieille vue sur les fantaisies de l’après-midi, Tannhauser s’installa, assis tout en haut des marches, et observa le déroulement des événements.
    Des maçons maltais en tabliers de cuir, armés de ciseaux, de pieds-de-biche et de masses, entourèrent La Valette à la base du mur, et s’ensuivit une brève discussion sur le meilleur moyen de creuser un passage jusqu’au pied de la tour roulante. Le maître maçon mesura l’agencement des pierres et, avec un instinct qu’il ne tenta pas d’expliquer, les marqua rapidement à la craie d’une suite de numéros. Puis les autres s’y mirent avec une efficacité flegmatique qui sidérait tous ceux qui les regardaient. Mortier et pierres sortaient du mur comme si c’était du biscuit, et, en une demi-heure, une arche grossière bâillait dans le revêtement, assez large pour deux hommes debout côte à côte. Au-delà se trouvait une masse compacte de pierres, dont la taille moyenne approchait celle d’une tête de chèvre. Des poutres, des leviers et des pelles attaquèrent et, dès que les pierres étaient dégagées et