La Revanche de Blanche

jour, une autre conquête. Ce soir, au coucher du soleil, il vogue sur une gondole en compagnie de Diane-Gabrielle et de Louise-Adélaïde, les jeunes nièces de la Montespan. Du menu fretin, se convainc Blanche : Athénaïs n’en a plus pour très longtemps.
    Volets clos, l’épouse de Pardaillan de Gondrin se bourre de sorbets, de macarons. Son fard a coulé laissant apparaître sur son visage taches rouges, cernes et ridules.
    — Il me faut absolument des excitants, s’agite-t-elle. Louis ne bande plus pour moi. Ma douce, nous nous sommes toujours entraidées, toi et moi. Tu es la seule en qui j’ai confiance . Retourne chez la Voisin, commande-lui ces pâtes d’amour dont elle a le secret et une fiole de poison. Mon valet, Gilot, se chargera d’Aglaé. Une méchante fièvre emportera enfin cette rombière qui nous aura empoisonné la vie. Ton Antoine sera tout à toi, tu ne seras responsable de rien.
    — C’est trop dangereux ! Je ne veux pas finir comme la Brinvilliers, se rétracte Blanche.
    — Comment oses-tu me refuser ce service ? Ma patience a des limites. Figure-toi que je sais tout de tes amusements avec le roi. J’ai même appris que tu avais une fille de lui. Jusqu’à présent, j’ai laissé faire. Ce serait dommage que tu arrêtes le théâtre, que tu ne sois plus ma dame de compagnie préférée…
    Blanche se met à trembler :
    — Tu es monstrueuse… Tu n’as pas le droit… Qui t’a raconté ça ? La marquise de Sévigné ?
    — Qu’importe. Pardon, Blanchette. Je ne voulais pas te blesser, tu es si bonne. Il valait mieux que la vérité éclate. Nous sommes entre amies, nous devons tout nous dire, n’est-ce pas ? Sois mignonne, tu es mon seul recours.
    — Bon, j’irai chercher ces pâtes, mais pas question d’empoisonner Aglaé.
    — Ne tarde pas, l’embrasse Athénaïs en lui donnant une bourse.
    Sur le pas de la porte, Blanche entend la Montespan soupirer :
    — À l’avenir, je ferai appel à la Des Œillets, tant pis pour Blanche.
     
    Blanche grimpe à contrecœur dans une calèche prêtée par la marquise. Direction, Boulogne où la Voisin a élu domicile. Elle peste contre la Sévigné. Se méfie d’Athénaïs : elle a maintenant des armes contre moi, elle en abusera. Faut-il rester à la Cour au risque de m’abaisser pour espérer la remplacer ?
    Sa voiture la dépose devant le cabaret Le Heaune , une guinguette où ouvriers et artisans dansent sur des flonflons de kermesse. Dans sa robe de serge grise, perruquée en blonde, un panier de pommes sous le bras, Blanche ressemble à une marchande des quatre-saisons. Au bout d’un chemin boueux, Marie-Marguerite entrouvre la porte d’une baraque en bois. Cheveux gras, mine renfrognée, elle la fait entrer dans cette cabane où pendent rats crevés, peaux de serpents et de lapins. La Voisin tisonne des braises. Empâtée, la vieille femme a du mal à se lever :
    — Chère enfant. Que puis-je pour vous ?
    — Madame, il me faudrait des pâtes d’amour.
    — Cela tombe bien. La Trianon vient de m’en livrer. L’abbé Guibourg les a glissées sous un calice au moment de la consécration : elles sont toutes fraîches, salive la Voisin qui s’empresse de tirer d’un coffre une boîte en fer. Si vous le souhaitez, il pourrait dire une messe à l’intention de votre dame. Je crois que les précédentes ont porté leurs fruits…
    — Non merci, tranche Blanche qui glisse la boîte dans son sac et jette la bourse sur la table.
    Au retour, elle fait une halte de trois jours à Fontaine-de-Mars. Marquise a trouvé un petit chat, baptisé Patisson.
    Revenue à Versailles, elle tombe nez à nez sur deux ours occupés à arracher les tentures du salon d’Athénaïs. Des laquais tentent de les attraper. Pattes en l’air, les ours grognent, prêts à en faire de la chair à pâté.
    — Le dernier caprice de la patronne va nous rendre fous ! s’énerve l’un d’eux.
    Athénaïs le surprend, l’insulte, se barricade avec Blanche dans des commodités, ouvre la boîte. Une odeur nauséabonde lui saute à la gorge. Elle fait tinter une clochette. Gilot, son valet, accourt.
    — Ce soir, tu mettras trois cuillerées de cette pâte dans le gâteau au chocolat du roi. Les goûteurs banderont comme des cerfs. Si tu parles, je te fais couper la langue.
    Gilot déguerpit. Athénaïs se vautre sur un sofa, s’amuse avec un tarot de Marseille :
    — Tu peux disposer, ma petite Blanche. Je vais