La Révolution et la Guerre d’Espagne
à leur tour leurs
camarades des légions italiennes, leur disent comment ils ont été accueillis,
appellent leurs amis à les rejoindre. Les patrouilles de garibaldiens rampent
dans les bois et au lieu de grenades, expédient à leurs compatriotes des tracts
lestés de cailloux. Le général Mancini s’inquiète et fait relever les troupes
de première ligne. A ce moment, Lister attaque et prend Trijueque : l’arrière-garde
des légionnaires se rend en masse. Les garibaldiens dirigés par Lukacz
encerclent la forteresse d’Ibarra. Quatre tanks et des dinamiteros montent
à l’assaut tandis que les haut-parleurs diffusent l’hymne communiste italien Bandiera
Rossa ,entrecoupé d’appels à la fraternisation et à la reddition. Le
château capitule, ouvrant la route de Brihuega. Du 14 au 16 mars, Mancini
parvient à contenir les assauts des tanks de Pavlov et de l’infanterie
républicaine. Il s’inquiète du moral de ses hommes et, dans un ordre du jour,
demande aux officiers de rappeler aux soldats que leurs adversaires sont les
mêmes que ceux que le Fascio a écrasés sur les routes d’Italie. Le 18, jour
anniversaire de la Commune de Paris, précédé par un bombardement massif de 80
avions dirigés par le colonel Hidalgo de Cisneros, le 5 ème corps
attaque. Mancini demande des renforts marocains. Lister et Mera attaquent alors
sur les deux côtés : Mera à l’ouest, avec la 12 ème brigade
internationale, Lister à l’est derrière les bataillons Edgar André et Thälmann, que commande Kahle, percent en même temps les lignes italiennes. Le Campesino entre dans Brihuega. C’est alors la débandade des « chemises noires », qui
s’enfuient vers Sigüenza, abandonnant leurs armes, leurs munitions et leur
matériel. Les troupes républicaines les poursuivent aussi loin que le leur
permettent leurs réserves – insuffisantes. Il y a plusieurs milliers de
prisonniers, que les garibaldiens entourent et catéchisent, que les
commissaires politiques haranguent. Ces milliers de jeunes gens élevés par le
régime fasciste voient ce 18 mars s’effondrer leurs rêves de grandeur et naître
à leurs yeux étonnés des sentiments nouveaux face à ces « rouges »
dont ils redoutaient le pire et qui partagent avec eux leurs maigres rations en
leur déclarant : « Nous allons maintenant vous parler, non en réponse à l’agression
que nous avons subie, mais pour vous montrer nos sentiments de fraternité
envers le monde entier » [235] .
La portée de Guadalajara
Le correspondant américain Herbert Matthews écrit : « A
mon avis, rien de plus important ne s’est produit dans le monde depuis la
guerre européenne que la défaite des Italiens sur le front de Guadalajara. Ce
que Bailen a été pour l’impérialisme napoléonien, Brihuega le fut pour le
fascisme et cela quelle que, par ailleurs, puisse être l’issue de la guerre
civile » [236] .
La victoire de Guadalajara, remportée par l’armée populaire
se battant comme une armée moderne, employant les méthodes révolutionnaires de
défaitisme dans les rangs ennemis, sur une armée supérieurement équipée et
entraînée, venait confirmer les folles prédictions de ceux qui, depuis
plusieurs mois, affirmaient que « Madrid serait la tombe du fascisme », la
première victoire des prolétaires sur les armées fascistes. Aux yeux des
combattants, internationaux et espagnols, la fuite des « chemises noires », la
désintégration des légions italiennes préfiguraient le sort qui attendait tous
les régimes fascistes. Elle était, depuis la victoire du Mussolini et de Hitler
dans leur pays, la première revanche du prolétariat international, sa première
victoire.
Victoire stratégique, mais aussi victoire politique, s’achevant
par la conquête des troupes de l’ennemi de classe. Elle semblait le triomphe de
l’« anti-fascisme » international, célébré par Koltsov dans ses dépêches. Elle
était pourtant sa dernière victoire. Après la révolution tout court, la guerre
révolutionnaire allait être dévorée par la guerre, dressée comme une fin en soi
contre la révolution qui lui avait pourtant donné toute sa flamme.
La dislocation de la coalition antifasciste
Pour ceux qui, de bonne foi, pensent que les nécessités de
la guerre – et elles seules – ont commandé l’évolution politique en Espagne
républicaine, il n’est pas facile d’expliquer que le gouvernement Largo
Caballero, sous lequel avaient été
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