La Révolution et la Guerre d’Espagne
réserves. Mais celles-ci vont diminuer rapidement à la suite de l’occupation
des grandes villes. Après la chute de Barcelone, il faudra assurer le
ravitaillement d’une population sous-alimentée depuis des mois. Les problèmes
économiques seront plus délicats une fois la guerre terminée.
Les prix ont monté pendant la guerre civile, mais sont
restés à un niveau raisonnable. Toute hausse de prix doit avoir été autorisée
et il n’est pas rare de voir une boutique fermée pour contravention à la
législation sur les prix. Le régime autoritaire empêche ainsi que le niveau de
vie de la population ne soit réduit dans des proportions trop considérables.
Evidemment, il n’empêche pas toutes les spéculations. Selon Courmont, qui est
entièrement favorable aux nationalistes, les prix des tissus « ont fait un
bond énorme », la viande de bœuf, entre octobre 36 et mai 38, a augmenté de 37 % et le vin de 48 %.
Aussi, malgré l’abondance apparente, le régime reste-t-il celui
de l’austeridad, expliquée officiellement par les nécessités de l’économie
de guerre. Pour mieux marquer les sacrifices consentis par tous à la cause
commune, le régime a inventé le système du « plat unique ». Le
vendredi au début de la guerre, puis le jeudi, tout le monde devra se contenter
d’un seul plat. En réalité, comment contrôler une pareille institution ?
Il faut avouer que nous sommes dans le domaine de l’utopie, sauf, bien entendu,
pour ceux qui mangent au restaurant et qui, de même, devront, en outre,
accepter d’être « privés de dessert » le lundi. En fait, il s’agit de
manifestations platoniques, destinées surtout à frapper l’étranger qui sera
ainsi convaincu de la discipline et des sacrifices consentis par le pays en
guerre. La pauvreté de la population est la vraie cause de l’austérité.
Le calme et la prospérité ne sont donc en réalité qu’une
façade. Si l’on veut comprendre réellement l’État nouveau, il convient d’en
examiner en détail les institutions.
L’État national-syndicaliste
Avec les officiers, dont la fidélité et la discipline sont
précieuses pour Franco et dont l’on ne pouvait se passer, les nouveaux cadres
du système politique sont fournis par les phalangistes du Parti unique. Nous
sommes dans l’« ère bleue » de l’État national-syndicaliste. La
Phalange est « le mouvement inspirateur et la base de l’État
espagnol », selon la première phrase de ses statuts [449] qui reprennent
et précisent les principes de morale politique énoncés dans le décret du 19
avril : les intérêts individuels doivent céder au « service de l’État,
de la Justice sociale, et de la Liberté chrétienne de l’individu ». Ainsi,
au concept de liberté politique ou sociale dont il n’est plus question, s’oppose
le principe de la liberté chrétienne qui est seulement une liberté morale. Ce
qui compte, en effet, c’est le respect des « valeurs éternelles de la
Patrie » et la hiérarchie sociale. Cette notion de hiérarchie inspire
toute l’organisation du Parti, des phalanges locales, au Caudillo. Le
« chef national du Mouvement » a, nous l’avons vu, la réalité du
pouvoir. C’est lui qui choisit les membres du premier Conseil national, nomme
le président de la Junte politique et désigne cinq des dix conseillers
nationaux qui en font partie [450] .
Il est le chef suprême des milices de la Phalange, choisit et relève de leurs
fonctions les chefs provinciaux, décide des inspections régionales. Il a le
pouvoir suprême, à la fois de décision et d’appel.
La Junte politique n’est donc qu’un conseil, aux
attributions politiques, auprès du chef national ; elle se réunit une fois
par mois au moins, pour étudier les propositions à faire au chef de l’État et
examiner les comptes du Movimiento. Les ordres sont transmis du sommet,
Junte ou Conseil national, aux commandants provinciaux et aux phalanges locales.
Une phalange locale est constituée par vingt « affiliés
militants » au moins. Il ne peut être question de faire entrer dans le
parti tous ceux qui en font la demande. Mais il ne faut pas non plus décourager
les bonnes volontés, d’ou la distinction entre « adhérents » et
« militants » qui fait irrésistiblement penser à l’organisation de
certains ordres religieux et notamment à celle de la Compagnie de Jésus. Les
adhérents ne sont pas « membres de la Phalange ». Ils
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