La Révolution et la Guerre d’Espagne
refuse,
au gouvernement, l’alliance qu’on lui propose. Ministre de la Défense
nationale, il s’irrite de l’ingérence des techniciens russes et n’hésite pas à
s’en prendre directement au parti communiste et à son influence dans certains
secteurs [468] ,
affichant délibérément son intention de le plier, lui aussi, à cette discipline
de fer qu’il a tant réclamée. Cela Prieto ne le nie pas : il développe au
contraire très longuement le récit de toutes les escarmouches qui l’ont opposé
aux communistes et aux conseillers russes [469] .
Il laisse pourtant dans l’ombre les raisons d’un revirement qu’il ne peut guère
admettre dans la mesure où il serait obligé de reconnaître en même temps sa
longue alliance avec le P. C. Les motifs de Prieto sont clairs : ils sont
liés à l’évolution des événements politiques et militaires depuis la
constitution du gouvernement qu’il a parrainé. Pour lui, l’appui communiste a
été indispensable pour la restauration de l’État, comme l’avait été, dans les
débuts, celui de Largo Caballero. L’État restauré, l’emprise communiste sur l’armée
et la police lui paraît dangereuse à bien des égards. Sur le plan intérieur, il
a assisté à la défection de nombre de ses fidèles : après la fraction de l’aile
gauche qui suit Alvarez del Vayo, une importante fraction de l’aile droite,
entraînée par lui dans la coalition antifasciste, semble, derrière Negrín, s’identifier
sur tous les points avec l’« allié » communiste dont la puissance
constitue, nous l’avons vu, un « État dans l’État ». Sur le plan
extérieur, il a été semble-t-il très déçu par l’attitude des communistes et les
conseils de prudence des Russes après le bombardement d’Almeria [470] ; sans
doute a-t-il, à cette occasion, perdu une partie de ses illusions en constatant
les limites de l’aide russe. Aussi va-t-il, à partir de cette date, accorder de
plus en plus d’attention et d’importance à l’attitude de Londres et de Paris
dont il est clair qu’elle ne se situe pas sur le même terrain que celle de
Moscou. Certes, Prieto n’est pas autant qu’on l’a dit « l’homme de l’Angleterre »,
mais il est incontestablement l’homme d’une paix négociée dont l’Angleterre
pourrait être l’agent. Dès mai 1937, il essaie de prendre des contacts avec les
franquistes pour étudier les possibilités de négociation [471] . Quelques mois
plus tard, profitant de l’échange de prisonniers qui va permettre la libération
et le départ chez Franco de Fernandez Cuesta, il a avec le chef phalangiste
plusieurs entrevues à ce sujet. Lorsque l’ancien prisonnier sera devenu
ministre à Burgos, il tentera de reprendre le contact avec lui [472] . Or, que ce soit
vis-à-vis de Franco ou vis-à-vis de Londres, la forte position des communistes
dans l’État républicain constitue un obstacle aux négociations.
Après le désastre d’Aragon, Negrín veut avant tout durcir la
résistance. Prieto, lui, ne croit plus qu’à la négociation. Il est probable que
Negrín n’a pas eu à céder aux pressions des communistes : la logique de sa
politique imposait le départ de Prieto, devenu, en même temps, son adversaire
et celui du P. C.
L’élargissement des assises gouvernementales, par le retour
de représentants des syndicats dans le gouvernement, permettrait-elle, comme l’ont
affirmé les amis de Negrín, le renforcement de son autorité, malgré le départ
de Prieto [473] ?
Il est permis d’en douter, parce qu’il se produit au moment même où les
nationalistes atteignent la Méditerranée et coupent en deux le territoire de la
République. C’est par téléphone que Negrín doit confier au général Miaja la
responsabilité du pouvoir politique et militaire dans la zone Centre-Sud :
la coalition politique au pouvoir repose de plus en plus sur le consentement et
la collaboration des chefs de l’Armée qui, bientôt, se dresseront contre elle.
Pour le moment, malgré le désastre d’Aragon, Negrín a choisi
la résistance. Alvarez del Vayo, son bras droit, affirme : « Grâce à
l’énergie et à la force d’âme montrées par le Président durant ces jours d’angoisse,
les conséquences du désastre furent considérablement réduites. » Et il
ajoute cet hommage à celui dont il fut le fidèle lieutenant : « On ne
peut enlever au docteur Negrín le mérite d’avoir sauvé la situation en 38 et
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