La Révolution et la Guerre d’Espagne
n’est, entre
leurs mains, qu’une machine à signer. C’est un pâle Girondin, tremblant devant
des Montagnards auprès desquels les nôtres n’étaient que de petits
enfants » [97] .
En septembre, le Comité de salut public est composé officiellement, comme un
véritable ministère, avec les portefeuilles de la Guerre, de l’Intérieur, de la
Justice, des Confiscations. Son président, l’instituteur socialiste Francisco
Rodriguez, est nommé gouverneur civil : la légalité consacre le pouvoir de
fait.
C’est en Aragon que se constituera en dernier lieu le pouvoir
révolutionnaire régional le plus original. Là, les cadres républicains s’étaient,
nous l’avons vu, ralliés dans leur ensemble au soulèvement militaire. La
reconquête d’une grande partie des campagnes aragonaises par les milices
catalanes s’est, dans chaque village, accompagnée de mesures révolutionnaires
radicales. Alors que les autorités et les gardes civils se sont enfuis ou ont
été massacrés, l’assemblée générale du village juge les « fascistes »
prisonniers et élit le Comité de village qui va le diriger, appuyé sur les
milices armées. La plupart des Comités ainsi élus sont à majorité sinon en
totalité anarchistes : aucune forme de collaboration ne peut exister entre
eux et les autorités républicaines entièrement liquidées. Début octobre, près
du quartier général de Durruti à Bujaraloz, se tient un congrès des Comités des
villes et des villages. Il élit un « Conseil de défense »,
entièrement composé de militaires de la C.N.T. et présidé par Joaquin Ascaso
qui s’installera à Fraga. Le Conseil de défense, d’accord avec les dirigeants
des colonnes anarchistes, exerce sur l’Aragon une autorité sans partage :
Comité suprême, représentant l’ensemble des Comités, il est ainsi en Espagne
révolutionnaire le seul organisme régional résultant de la fédération des
Comités locaux et tirant d’eux son autorité. Vivement attaqué, lors de sa
formation, par les communistes qui le qualifient d’organisme « cantonaliste »
et « factieux », il ne sera pas reconnu avant de longs mois par le
gouvernement. Il sera aussi l’organisme du pouvoir révolutionnaire dont l’existence
se prolongera le plus longtemps.
Un cas particulier : le pays basque
Dans les provinces basques, la situation est très différente
du reste de l’Espagne. Le parti nationaliste basque, qui y est incontestablement
majoritaire, prend position, le 19 juillet, contre le soulèvement militaire et,
quelques jours après, adhère au Front populaire.
Ses objectifs mettent pourtant une énorme distance entre lui
et les partis et syndicats ouvriers dont les militants, dans l’Espagne entière,
sont en train de faire une révolution. Les nationalistes basques sont d’ardents
défenseurs de l’Église et de la propriété et seront dès les premières heures en
opposition directe avec la plus grande partie des troupes de leurs
« alliés » du Front populaire et des syndicats. Les juntes de défense
qui se constituent dans toutes les provinces basques sont des organismes de
lutte contre l’insurrection militaire, et, en même temps, des remparts contre
la révolution. Dans La Nacion de Buenos Aires du 7 septembre 1936, le
leader basque Manuel de Irujo situe parfaitement les difficultés de son parti à
cette époque en écrivant : « Les partis extrémistes de la dictature
du capital et du prolétariat étaient organisés en requetes et en milices
et nous avaient pris de vitesse au début. » Du reste, dans toutes les
juntes où ils sont majoritaires, les nationalistes basques exigent les postes
de « commissaires à l’ordre public », pour « imposer discipline et
respect à l’arrière-garde » [98] .
Ainsi le commissaire à l’ordre public de la junte de Guipuzcoa s’emploie-t-il d’abord
à faire cesser les paseos et à défendre la propriété en faisant garder
les banques. Pour assurer le maintien de l’ordre et la défense de la propriété,
les nationalistes organisent leurs propres unités, les Milices basques,
dirigées par le commandant Saseta : recrutées parmi les militants
nationalistes, solidement encadrées par des aumôniers, elles arborent le
drapeau et parlent la langue basque. En l’espace de quelques semaines, elles
parviennent, à Saint-Sébastien, à récupérer la quasi-totalité des armes passées
aux mains des ouvriers après la prise de la caserne de
Weitere Kostenlose Bücher