La Révolution et la Guerre d’Espagne
État
républicain auquel ils substituaient le leur, les travailleurs espagnols
avaient visé au-delà d’une simple révolution politique. Leur action dans les
semaines qui suivent le soulèvement constitue une révolution sociale, dans tous
les domaines. A leur manière, sommaire et quelque peu brutale, sans doute, ils
se sont attaqués aux grands problèmes de l’Espagne : la structure
oligarchique de l’État, l’Armée, l’Église, les bases économiques de l’oligarchie,
la propriété industrielle et la propriété foncière [106] .
Le problème de l’Église
Le problème de l’Église est « réglé » aussi radicalement au
moins que celui de l’Armée dans la totalité de l’Espagne « républicaine »,
Pays basque excepté. Comme le soulignera un mémorandum adressé par Manuel de
Irujo à Caballero [107] quelques mois plus tard, toutes les églises sont fermées au culte, une grande
partie d’entre elles ayant été brûlées, surtout en Catalogne. Les autels,
images et objets de culte sont détruits très souvent les cloches, calices,
ostensoirs ou candélabres ont été saisis par les autorités révolutionnaires,
fondus et utilisés à des fins militaires ou industrielles. Les anciennes
églises servent aujourd’hui de garages, de marchés, d’écuries, de refuges. Les
bâtiments ont, à cet effet, été transformés de façon durable par l’installation
de conduites d’eau, de carrelages, de comptoirs, de bascules, de rails, de
portes, de fenêtres, de cloisons. Tous les couvents ont été vidés et les
bâtiments utilisés de la même manière. Les prêtres et les religieux ont été
arrêtés en masse, emprisonnés, fusillés : deux seulement échappent à Lerida à l’impitoyable
répression, parce qu’on sait qu’ils ont voté et fait voter pour le front
populaire. Ceux qui ont réussi à fuir se terrent, risquant à chaque instant
arrestation et exécution. Rares sont ceux, ou celles, qui ont reçu une chance
de « vie civile » : on cite pourtant, ici ou là, une ancienne
religieuse mariée, ou un ancien moine engagé dans les milices [108] . Pratiquement, l’interdiction
du culte s’est étendue à celle de la détention privée d’images ou d’objets de
culte, tels que crucifix, missels, etc... Les milices révolutionnaires de l’arrière
font la chasse à leurs détenteurs, perquisitionnent et procèdent à des
arrestations.
Toutes les écoles confessionnelles ont été fermées, les
locaux et l’enseignement pris en charge localement par les Comités ou les
syndicats. En Catalogne, les bâtiments appartenant aux écoles religieuses sont
remis aux représentants du « Comité de l’Ecole nouvelle unifiée »
fondée sur « les principes rationalistes du travail et de la fraternité
humaines », le « sentiment de solidarité universelle » et la
volonté de « supprimer toute espèce de privilèges ». Ecoles anciennes et
nouvelles sont installées dans de nombreux endroits en de nouveaux locaux,
villas luxueuses de grands propriétaires, couvents, postes de garde civile… L’expérience,
ici, sera trop brève pour qu’on puisse en apprécier les résultats. A Barcelone,
en tout cas, le nombre des enfants scolarisés augmente de 10 % entre juillet et
octobre 1936.
La propriété industrielle
Les bases économiques de la puissance de l’Église ont été
détruites en quelques jours de révolution : il en sera de même, dans la
majorité des cas, de celles de la bourgeoisie. L’une comme l’autre apparaissent
aux révolutionnaires triomphants comme les alliées des généraux soulevés :
les « conquêtes révolutionnaires » répandent aussi bien à des exigences
idéologiques qu’à des nécessités pratiques.
Déjà, dans les semaines qui ont précédé le soulèvement, de
nombreux chefs d’entreprise avaient pris la fuite, mis à l’abri leurs capitaux,
contribuant ainsi à augmenter le marasme économique [109] . La victoire de
la révolution et la terreur qui frappe les chefs et les cadres des entreprises
bancaires et industrielles paralysent le fonctionnement d’un appareil
économique déjà souvent singulièrement détérioré par le début des combats.
Enfin et surtout, la révolution de juillet 36 a ses objectifs sociaux : les ouvriers prennent les usines et les paysans prennent les champs parce que c’est là, à
leurs yeux, l’objectif ultime, le couronnement victorieux de leur action
révolutionnaire [110] .
Il faudrait un
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