La rose de Raby
réunis dans le parloir pour y souper, et à leur air contrarié quand Kathryn entra après avoir frappé, ils étaient en grande discussion.
—
Qu'y a-t-il? demanda Anselm.
—
A-t-on enlevé la dépouille de frère Gervase? interrogea la jeune femme.
—
Certainement.
—
Avez-vous fouillé sa cellule?
—
Non, nous nous en occuperons demain.
—
J'aimerais y aller tout de suite.
—
Mais, Maîtresse, c'est...
—
Je vous en prie !
Avec un soupir, Anselm jeta sa serviette sur la table et saisit un trousseau de clés sur le bureau. Escorté par l'infirmier et Jonquil, il précéda Kathryn à travers une petite cour pavée, puis il franchit une porte latérale et ils grimpèrent un escalier. Le couloir qui en partait était très semblable à celui conduisant à la chambre du prieur. La cellule de Gervase se trouvait en haut des marches.
En ouvrant la porte avec une clé de son trousseau, Anselm s'exclama :
—
Dieu seul sait où est celle que détenait Gervase ! Peut-être a-t-elle brûlé avec lui.
—
Je ne le pense pas, rétorqua Kathryn, se rappelant les restes effroyables qu'elle avait examinés.
Sitôt la cellule ouverte, Jonquil écarta les contrevents et alluma une chandelle. La pièce sentait l'encens et la cire d'abeille; des tentures assez riches, d'un bleu sombre et bordées d'or, pendaient aux murs, et le lit à colonnes était garni de rideaux rouge sang avec des glands pourpres. Sur la table était posé un crucifix en argent à côté de chandeliers assortis. Il se trouvait aussi des cassettes, des caisses et des étagères chargées de livres.
L'ordre qui régnait dans la chambre frappa tout de suite Kathryn.
—
J'aimerais examiner les affaires de Gervase, dit- elle. Je vous le demande, père prieur, autorisez-moi à le faire. Habituellement, le corps humain ne s'enflamme pas spontanément. Gervase a été assassiné, j'en suis persuadée.
—
Mais comment? intervint l'infirmier. On l'a vu marcher jusque là-bas.
—- Que faisait-il auparavant? Quelqu'un a-t-il aperçu Gervase au cours de l'après-midi? Savez-vous qu'il a traversé Gethsémani vers trois heures?
Anselm regarda l'infirmier d'un air penaud. Kathryn avança d'un pas.
—
Vous savez quelque chose, n'est-ce pas?
—
Nous étions en train d'en parler, avoua Anselm. Il semblerait que Gervase ait été introuvable, juste après que nous vous avons rejointe, Maîtresse Swinbrooke. Il aurait disparu, du moins jusqu'au moment où frère Timothy l'a vu traverser le jardin de Gethsémani.
—
Regardez autour de vous, père prieur, le pressa
Kathryn, vous ne remarquez rien de singulier? Voyez comme tout est propre et bien rangé.
— Gervase était un homme méticuleux.
Kathryn avança vers la table.
—
Pas à ce point. On dirait presque qu'il a tout rangé avant de partir comme s'il n'allait pas revenir.
—
Allons, c'est absurde ! À part lui, je suis le seul à avoir la clé de cette chambre.
— En détenait-il d'autres? interrogea Kathryn.
—
Évidemment ! Regardez le bureau : c'est l'ouvrage d'un artiste : tous les tiroirs ont une serrure.
Kathryn se pencha. Un meuble comme celui-ci lui aurait bien plu, avec son plateau en beau chêne et ses tiroirs habilement ajustés : il avait été fabriqué par un excellent menuisier ici ou en ville. Elle voulut ouvrir l'un des tiroirs : il résista. De même les coffres.
—
Gervase ne se séparait jamais de ses clés, expliqua l'infirmier Simon.
Kathryn se redressa.
—
Mais quand on l'a retrouvé mort? Moi, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu des clés, et ceux qui l'ont transporté au charnier non plus.
—
J'en conviens, admit l'infirmier, qui alla jusqu'à la fenêtre pour regarder dehors. Qu'en pensez-vous, Maîtresse ?
—
Je veux qu'on ouvre ces tiroirs et ces coffres. Il le faut, insista Kathryn.
Si Gervase avait des clés, elles ont maintenant disparu.
Anselm croisa les mains comme s'il voulait prier pour demander conseil.
— Il le faut, répéta Kathryn.
Simon en convint et Jonquil disparut pour revenir avec un maillet et un burin. Kathryn, bien qu'elle en fût navrée, regarda forcer les tiroirs superbement ouvragés ainsi que les coffres cadenassés. Ils passèrent ensuite une bonne heure à examiner leur contenu, mais ne découvrirent rien que des lettres, des factures, des états de comptes, des chapelets, un psautier, des notes et des affaires personnelles. Le prieur Anselm était de plus en plus irrité; à un moment,
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