La Vallée des chevaux
le désirait.
Elle évitait néanmoins toute allusion à ce sujet et se
débrouillait pour qu’il ne s’aperçoive de rien. Le fait qu’il aborde une telle
question la mettait mal à l’aise.
— La plupart des femmes font comme toi, dit Jondalar qui ne
semblait nullement partager sa gêne. Est-ce Creb et Iza qui t’ont appris à
tenir un compte de ces périodes ?
— Non, c’est moi qui l’ai fait pour savoir, répondit Ayla
en baissant les yeux. Je voulais pouvoir prendre mes précautions au cas où cela
m’arriverait lorsque j’étais loin de la caverne.
Elle fut très surprise de voir que Jondalar hochait la tête d’un
air entendu.
— Les femmes racontent une histoire au sujet des mots pour
compter, reprit-il. Elles disent que Lumi, l’astre lunaire, est l’amant de la
Grande Terre Mère. Les jours où Doni saigne, Elle ne partage pas les Plaisirs
avec lui. Cela le rend furieux et blesse son orgueil. Lumi se détourne d’Elle
et cache sa lumière. Mais il est incapable de rester longtemps loin d’Elle.
Comme il se sent seul et que la chaleur du corps de Doni lui manque, il
réapparaît. Quand Lumi revient, Doni, bouleversée par son absence, refuse de le
regarder. Lumi tourne alors autour d’Elle et brille pour Elle dans toute sa
splendeur. Doni ne lui résiste pas longtemps : Elle s’ouvre pour
l’accueillir et ils sont à nouveau heureux. Ayla avait relevé la tête et elle
l’écoutait, fascinée.
— C’est pourquoi la plupart des fêtes en l’honneur de la
Mère ont lieu au moment de la pleine lune, ajouta Jondalar. Les femmes disent
que leurs cycles correspondent à ceux de la Mère. Elles appellent l’époque où
elles saignent l’époque de Lumi et elles peuvent dire quand celle-ci va arriver
en regardant la lune. Elles disent aussi que Doni leur a donné les mots pour
compter afin qu’elles puissent prévoir cette période même quand Lumi est caché
par des nuages. Mais les mots pour compter servent aussi à bien d’autres
choses, tout aussi importantes.
— Moi aussi, il m’arrive de regarder la lune mais cela ne
m’empêche pas d’entailler aussi le bâton, expliqua Ayla encore un peu étonnée
que Jondalar aborde un sujet féminin aussi intime avec une telle désinvolture.
Qu’est-ce donc que ces mots pour compter ?
— Chaque entaille que tu fais sur ton bâton à un nom. On
utilise ces noms pour compter toutes sortes de choses. Ils permettent par
exemple de dire combien de rennes a vu un éclaireur ou à combien de jours du
campement ces animaux se trouvent. S’il s’agit d’un grand troupeau, comme les
troupeaux de bisons que l’on chasse à l’automne, on est obligé de faire appel à
un zelandoni qui connaît une manière spéciale d’utiliser les mots pour compter.
Ayla sentit qu’elle était sur le point de comprendre ce que
signifiait ces fameux mots pour compter. Elle allait enfin résoudre des
questions dont les réponses lui avaient jusqu’ici échappé.
— Je vais te montrer, proposa Jondalar.
Il alla chercher les pierres placées autour du foyer, puis les
disposa en ligne devant Ayla. Montrant du doigt chaque pierre l’une après
l’autre, il commença à compter :
— Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept... Ayla
l’observait, de plus en plus fascinée.
Quand il eut fini, il chercha autre chose autour de lui qu’il
puisse compter et saisit finalement quelques bâtons d’Ayla.
— Un, recommença-t-il en posant un bâton sur le sol. Deux,
dit-il en plaçant le second bâton à côté du premier. Trois, quatre, cinq...
Cela rappela aussitôt à Ayla les paroles de Creb : « Année de
naissance, année de la marche, année du sevrage... », lui avait dit le
magicien en lui montrant au fur et à mesure chacun des doigts de la main.
Levant la main gauche, Ayla ouvrit les doigts, puis, sans
quitter des yeux Jondalar, elle lui dit en montrant ses doigts :
— Un, deux, trois, quatre, cinq.
— C’est ça ! s’écria Jondalar. Quand j’ai vu tes
bâtons, j’ai tout de suite pensé que tu n’aurais aucun mal à apprendre.
Avec un sourire triomphant, Ayla alla chercher un bâton et
commença à compter les entailles. Quand elle arriva à cinq, Jondalar prit la
relève.
Mais, avant d’arriver à la seconde entaille plus profonde, il
dut s’arrêter. Il fronça les sourcils d’un air concentré.
— Est-ce que ces bâtons représentent le temps pendant
lequel tu as vécu dans cette caverne ?
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