La Vallée des chevaux
le
savait et Iza m’a dit avant de mourir qu’il fallait que je parte et que je
retrouve les miens. Je ne voulais pas quitter le Clan mais j’ai été forcée de
le faire et jamais plus je ne pourrai revenir. J’ai été frappée de la
Malédiction Suprême. Je suis morte.
Jondalar ne comprenait pas très bien ce qu’elle entendait par
là, mais il en eut malgré tout la chair de poule.
— Je ne me souviens pas de la femme qui m’a donné
naissance, continua Ayla. Ni de ma vie avant d’être adoptée par le Clan. J’ai
essayé d’imaginer à quoi pouvaient bien ressembler les Autres sans jamais y
parvenir. Et maintenant, quand je pense à eux, c’est toi que je vois. Tu es le
premier représentant de ma propre espèce qu’il m’est donné de voir, Jondalar.
Quoi qu’il arrive, je ne t’oublierai jamais.
Ayla sentit qu’elle en avait trop dit. Elle se tut et se leva.
Puis elle lui rappela :
— Si nous partons chasser demain matin, il vaudrait mieux
que nous allions nous coucher.
Jondalar savait qu’elle avait été élevée par des Têtes Plates,
puis qu’elle avait vécu seule après les avoir quittés. Mais il n’avait pas
vraiment réalisé qu’il était le premier homme qu’elle ait jamais rencontré. Il
trouvait cette responsabilité accablante et n’était pas fier de la manière dont
il l’avait assumée. Néanmoins, il savait comment on considérait les Têtes
Plates. Si au lieu de réagir aussi violemment, il s’était contenté de le lui
expliquer, cela aurait-il eu le même effet ? Aurait-elle su à quoi elle
devait s’attendre ?
Il était inquiet au moment où il alla se coucher et, au lieu de
s’endormir aussitôt, il resta allongé les yeux fixés sur le feu à réfléchir.
Brusquement, sa vision se déforma et il se sentit pris d’une sorte de vertige.
Il vit alors une femme qui semblait se refléter à la surface d’une mare dans
laquelle on viendrait de jeter une pierre. Son image indécise ondulait à la
surface de l’eau en cercles concentriques de plus en plus larges. Jondalar ne
voulais pas que cette femme l’oublie qu’elle se souvienne de lui était de la
plus haute importance.
Il avait le sentiment d’une divergence, d’un choix, l’impression
de se retrouver à la croisée des chemins sans que personne soit là pour le
guider. Un courant d’air chaud hérissa les poils de sa nuque et il sentit
qu’Elle était en train de le quitter. Il n’avait jamais eu conscience de Sa
présence à ses côtés mais, maintenant qu’Elle était partie, il ressentait
profondément le vide douloureux qu’Elle laissait derrière Elle. C’était la fin d’une
période qui avait duré si longtemps, la fin de la glace, la fin d’un âge, la
fin d’une époque où Elle subvenait à tous les besoins de Ses enfants. La Terre
Mère abandonnait Ses enfants car il était temps qu’ils trouvent leur propre
chemin, qu’ils forgent leurs vies, qu’ils assument les conséquences de leurs
actes – qu’ils deviennent majeurs. Ce n’était pas pour demain,
Jondalar ne le verrait pas et il faudrait encore bien des générations avant que
cela ne se produise, mais le premier pas, inexorable, avait été franchi. Elle
venait de transmettre à Ses enfants Son cadeau d’adieu, le Don de la
Connaissance.
En entendant une plainte aiguë et surnaturelle, Jondalar comprit
qu’il s’agissait des pleurs de la Mère.
Comme une corde trop tendue qui soudain se relâche, la réalité
revint en force. Mais la corde avait été si tendue qu’elle ne pouvait retrouver
ses dimensions d’origine. Il se rendit compte que quelque chose clochait. Il
jeta un coup d’œil à Ayla qui se trouvait de l’autre côté du feu et vit que ses
joues étaient couvertes de larmes.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Ayla ?
— Je ne sais pas.
— Tu es sûre qu’elle va pouvoir nous porter tous les
deux ?
— Non, je n’en suis pas sûre, dit Ayla en tenant Whinney
qui portait ses deux paniers.
Rapide suivait derrière, tenu par une corde fixée à une sorte de
licol, fabriqué avec des lanières de cuir. Ce licol lui laissait la liberté de
brouter ou de bouger la tête et il ne risquait pas de lui serrer trop le cou et
de l’étrangler. Au début, cela l’avait gêné mais il avait fini par s’y
habituer.
— Si nous pouvons monter tous les deux sur Whinney, nous
irons plus vite, reprit Ayla. Si elle n’aime pas ça, je le verrai tout de
suite. Nous pourrons alors la monter
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