La vengeance d'isabeau
s’étaient enlacés. Comme si cette future naissance avait lavé sa conscience, Jean avait senti sa vigueur se réveiller timidement. Solène l’avait encouragé et avait finalement pu recevoir l’hommage de son amant retrouvé.
À deux matins de là, Marie revenait vers son logis, les bras chargés d’un pain à la tiédeur généreuse, lorsque la voix de Jean dans son dos l’arrêta devant le portail du cimetière. Il avançait vite désormais, s’appuyant sur sa béquille autant que sur la tige de bois qui supportait le moignon de sa jambe. D’un élan, il fut à ses côtés, tandis qu’elle se retenait de rire à ses grimaces.
— Moqueuse ! protesta-t-il en parvenant à sa hauteur. Je voudrais bien te voir danser sur un seul pied !
— Je serais bien plus gourde que toi et finirais dans tes bras, s’amusa-t-elle.
— Mes vieux démons n’y survivraient pas, constata-t-il plus sérieusement qu’il ne l’aurait voulu.
Il allongea son pas et Marie le suivit.
— De quoi parles-tu, Jean ?
Il attendit d’être parvenu au seuil de l’échoppe pour lui répondre, gêné par le brouhaha de la rue qui les obligeait à hausser le ton. Il ne voulait pas qu’on l’entende, pas plus qu’il ne voulait vraiment le lui dire. Les mots lui échappèrent pourtant :
— Tu me manques, Marie.
D’un geste sûr, il lui ouvrit et l’invita à entrer.
Marie déposa le pain sur la table de la cuisine, épousseta sa cape couverte de farine puis leva les yeux vers Jean qui, depuis l’encadrement de la porte refermée sur son aveu, ne parvenait pas à détacher les siens de ses gestes.
— Il y a Solène… et Constant, crut-elle judicieux de préciser.
Jean éclata d’un rire clair puis s’avança jusqu’à elle. D’un mouvement ample, il l’attira dans ses bras.
— Il ne s’agit pas de cela, Marie. Solène me rend heureux et Constant est celui que tu as choisi. Tout est clair, et dans l’ordre des choses. Mais une vigueur que je croyais perdue me rappelle certains parfums, ces envies de peau dont je fus plus friand que d’autres.
— Tu es insupportable, se défendit-elle en le repoussant gentiment.
Elle ne savait trop s’il plaisantait ou non, et décida de s’en moquer. Son regard brûlant la fit pourtant se détourner.
— Je ne mérite que le bûcher ! consentit Jean, car je te désire encore, à mon corps défendant, crois-le. Preuve qu’une âme satanique se cache en moi et qu’aucune rédemption n’est possible.
— Ne me tourmente pas, Jean. J’ai bien assez de peine à tromper Constant.
— Il sait les raisons qui te poussent au lit de Montmorency. Moi seul le trahirais si j’osais. Mais je n’oserai pas, Marie. Même si la femme que tu es devenue me séduit davantage que la jouvencelle d’autrefois. Mais peut-être est-ce ce ventre qui m’en rappelle un autre. Ce ventre porteur de sa vie, qui aiguise une jalousie malsaine. Pardonne-moi.
Marie redressa le nez, une moue boudeuse aux lèvres.
— Tu n’as aucune envie que je te pardonne !
— C’est vrai ! consentit Jean. Je peux refaire l’amour, Marie. Je me sens vivant, sortir d’un sommeil triste. Et te désirer encore est une belle victoire sur l’usure du temps. Tu devrais t’en sentir flattée.
— Tu es insupportable, soupira la jeune femme.
— Tu te répètes, jolie Marie. Et maintenant, dis-moi ce qui te tourmente. Car ce n’est pas seulement le souffle de ta peau qui me manque, ce sont tes confidences et ta confiance.
Marie soupira bruyamment. Jean avait raison. Ses préoccupations l’avaient détournée de son amitié. Elle ne s’était pas imaginé qu’il pût en souffrir. Solène était si prévenante auprès de lui…
— C’est à propos de mon ventre, justement, osa-t-elle. L’histoire se répète, Jean.
— Montmorency ?
— Peut-être. J’étais si perturbée par ce complot, si touchée par la mort de Triboulet. J’en ai oublié mes médications. Comment être sûre ?
— Qu’en dit Constant ?
— Il fait semblant, je présume. Il paraît heureux, mais j’ai du mal à croire qu’il ne se doute de rien.
— Dis-lui.
— Si c’était si facile !
— Ah ! Marie, Marie ! grogna Jean en l’attirant dans ses bras une fois encore.
Elleblottit sa tête contre son épaule. Jean se gorgea de son parfum de bruyère et de pain chaud, puis chuchota à son oreille :
— Seuls le mensonge et les doutes peuvent détruire la
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