La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
siècle, sont unanimes à vanter
l’honnêteté des marchands chinois. « Les Chinois,dit l’un d’eux, agissent d’une manière équitable
en matière de transactions monétaires et de
dettes 36 . » Et Marco Polo de son côté reconnaît
qu’« aussi bien dans les transactions commerciales que dans les procédés de fabrication, ils
sont foncièrement honnêtes et probes 37 ». La
parole donnée n’est jamais reprise et, d’autre part,
l’Etat veille à ce que certaines normes soient respectées dans la fabrication des produits 38 . Sortes
d’associations religieuses, ou tout au moins
constituées sur le modèle de ces associations, les
corporations ont chaque année leur jour de fête
en l’honneur de leur saint patron, personnage
légendaire ou héros divinisé. A ce moment, les
membres se réunissent pour un banquet auquel
chacun fournit son écot et ils exposent leurs
chefs-d’œuvre 39 .
L’un des avantages principaux du groupement de chaque métier en corporation, c’est
qu’il permet de régler les rapports des marchands et des artisans avec l’Etat. C’est aux
chefs de corporation que s’adressent les administrations publiques chaque fois qu’elles procèdent à des réquisitions – soit de produits dans
les boutiques, soit d’artisans dans les ateliers.
Ainsi, grâce à ces intermédiaires officieux, les
charges sont équitablement réparties 40 .
Les marchands parvenus possèdent tout,
richesse, luxe, puissance, sauf cette considérationsociale que leur refusent ceux que la hiérarchie
traditionnelle a placés au-dessus d’eux. On comprend que ces enrichis n’aient d’autre ambition
que de s’élever au niveau des hautes classes : le
bourgeois gentilhomme est universel ou, du
moins, c’est un type humain inévitable dans certaines formes de société.
Nul doute que les armateurs, les négociants en
sel et les patrons des plus riches boutiques de la
ville n’aient pris grand soin de l’éducation de
leurs enfants, ne leur aient payé des précepteurs et
qu’ils aient songé pour eux à la carrière de lettrés-fonctionnaires. A cela pourtant deux obstacles :
le premier était d’ordre administratif. En principe, les fils de marchands n’avaient pas accès
aux examens prévus pour le recrutement des
fonctionnaires. Cependant, il n’est pas sûr que le
principe n’ait pas comporté des accommodements. L’autre obstacle était d’ordre psychologique : il n’y a rien que les fils de marchands
aient de plus pressé que de dilapider la fortune
paternelle. « A père avare, fils prodigue. » Mais
ce qui est souvent vrai dans notre bourgeoisie
d’Occident, l’est plus encore dans les familles de
riches marchands en Chine. Les principes d’économie n’y font pas l’objet d’un enseignement,
et le travail, loin d’être prôné comme un bien en
soi, comme il le fut en théorie dans les pays de
civilisation chrétienne, est méprisé : les gens
de la haute société ne travaillent pas, ils dirigent.Ainsi, chaque génération fait l’expérience des
dangers de la dissipation et des avantages de
l’âpreté au gain. La jeunesse dorée de Hangzhou
compte certainement dans ses rangs nombre de
fils de commerçants enrichis. Cette appartenance
de leurs enfants au beau monde de la ville flatte
sans doute en fin de compte la vanité de parents
qui paraissent avoir été généralement portés à
l’indulgence.
Cette vanité a d’autres occasions de se satisfaire. A la fin de la dynastie des Song du Sud,
quelques années avant l’invasion mongole,
l’Etat décida de constituer de vastes domaines
agricoles placés en gérance, afin d’accroître le
volume des approvisionnements militaires. Pour
l’achat de ces terres publiques, la cour mit en
vente de petits titres nobiliaires pour les hommes
et pour les dames. Sans doute quelques marchands trouvèrent-ils là le moyen de s’anoblir ou
d’anoblir leurs fils et leurs épouses : certains
devaient avoir placé leur fortune en biens fonciers, valeur sûre et noble par surcroît, à moins
qu’ils n’aient racheté directement ces titres, car
ils n’étaient point nominaux.
La vanité des parvenus trouve encore à se
satisfaire, comme celle de Monsieur Jourdain,
dans l’imitation des us et coutumes de la haute
société, dans l’affectation du « maintien solennel
et du grand décorum » des gens de bien, selon
l’expression de Marco Polo. Les quelques lignespar lesquelles le voyageur vénitien nous
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