L'affaire du pourpoint

sur-le-champ.
    Leonard Mason menait une vie bien remplie, pensai-je. Entre ses recherches nocturnes et la procréation, quand trouvait-il le temps de dormir ?
    Et comment allais-je examiner sa correspondance s’il pouvait surgir dans son bureau en pleine nuit ? Moi qui comptais m’y glisser pendant que tout le monde dormirait…
    En bas, on appela Mrs. Mason d’un ton urgent. Ann s’excusa et descendit précipitamment, pour être accueillie quelque part par une cacophonie de voix furieuses. Sortant sur la pointe des pieds, je m’arrêtai sur le petit palier au sommet de l’escalier principal. Les éclats de voix provenaient d’une porte voûtée, en haut de l’escalier de service. La cuisine.
    — Je voulais juste un morceau de massepain. Ça sentait si bon, et je meurs de faim ! Il va encore falloir attendre le repas. Pourquoi ne pourrais-je pas avoir rien qu’un tout petit bout de massepain ?
    — Parce que je ne veux pas de toi dans mes pattes ! tempêta une voix masculine, dotée elle aussi d’un fort accent du Berkshire. Surtout quand j’essaie de préparer un déjeuner pour trois bouches supplémentaires à la dernière minute. Le maître est très pointilleux sur les dépenses, si bien que je n’ai jamais rien en plus, et maintenant…
    — Peut-être, Pen, que si tu venais aider au lieu de gêner et de piocher dans ce qu’on doit servir, ce serait différent. Tu devrais apprendre à cuisiner. Quand tu auras ta maison à toi…
    — Pas question qu’ils apprennent dans ma cuisine, madame. On a déjà essayé, rappelez-vous, et je préférerais encore avoir des diablotins dans les jambes. Si j’avais quelqu’un d’expérimenté en plus, alors là d’accord, mais avec seulement Mrs. Logan, Joan et Jennet qui sont occupées ailleurs la moitié du temps, et pas de marmiton…
    — N’y a-t-il donc pas moyen d’avoir la paix dans cette maison ? interrompit Leonard Mason. Pourquoi faut-il toujours que quelqu’un hurle ? Grand Dieu, que se passe-t-il encore ?
    Les voix furieuses s’apaisèrent et une porte claqua, m’empêchant d’entendre le reste. Je me retournai pour trouver Dale, les yeux écarquillés, sur le seuil de notre chambre.
    — C’est tout à fait comme l’an dernier !
    — Je le crains, dis-je en rentrant et en refermant notre porte sans bruit. J’ai l’impression de n’être jamais partie !
    — Madame…
    — Qu’y a-t-il, Dale ?
    — Eh bien… Vous êtes venue découvrir si des choses inquiétantes se préparent à Lockhill, n’est-ce pas ?
    — Oui, c’est exact.
    — Ma foi… Croyez-vous que vous trouverez un complot ici ?
    Je soupirai et m’assis au bord du lit.
    — Je n’en sais rien. Sir William m’a demandé d’observer tout ce qui semblait singulier. Jusqu’à présent, seul l’oiseau factice que messire Mason a jeté du haut de la tour répond à cette définition ! Pensez-vous que cela puisse indiquer une conspiration contre la reine ?
    — Je ne vois pas comment ! Dans cette maison, il n’y a que des enfants et du bruit, et Mr. Mason qui essaie d’étudier toutes sortes de bizarreries ! Quant à une conspiration, je ne peux imaginer…
    Pendant un moment réconfortant, je sentis qu’elle partageait ma propre impression, qui s’en trouvait ainsi étayée. Je songeai à la demeure résonnant de vie et de joyeuse confusion, et je me mis à rire, imitée par Dale.
    — Moi non plus, Dale ! Moi non plus.
    Alors elle m’aida à me changer, et nous descendîmes pour dîner.

CHAPITRE VII

Conversation intelligente
     
    — Les enfants avaient coutume de manger à part, remarqua Ann à la table du repas, mais le Dr Crichton estime que la compagnie des adultes leur sera profitable. Donc, commenta-t-elle d’un ton enjoué, dorénavant nous mangeons tous ensemble, en famille.
    Je vis bien que sa bonne humeur était contrainte. Ses yeux et sa voix trahissaient sa fatigue, mais elle s’était changée et assumait avec dignité son rôle de dame du manoir. Ann Mason avait des principes. Elle manquait simplement de temps et d’énergie pour les imposer en tout.
    Elle avait concentré ses efforts sur la salle à manger. La table latérale, où Redman recouvrait de sauce un plat de poulet bouilli, était protégée par une nappe blanche immaculée. Des herbes aromatiques se mêlaient aux joncs répandus par terre et, sur la table du repas, elle aussi ornée d’une nappe blanche, l’argenterie et les gobelets