L'affaire du pourpoint
compte sur vous pour surveiller les filles.
Ils seraient tous ailleurs. Quant aux filles, je leur trouverais une occupation. Le bureau de Mason serait vide. Les servantes n’iraient pas y faire la poussière car seule Ann en avait la permission, or elle serait prise de son côté. Je lui assurai qu’elle pouvait se fier à moi.
Les enfants avaient mangé de bon matin et attendaient leur précepteur dans la classe. J’allai leur annoncer les nouvelles dispositions, puis je me mis en quête de Brockley.
Dale avait décidé de secouer tous nos vêtements, qui s’étaient froissés dans les sacoches de selle durant le retour à Lockhill ; je me trouvais donc seule. Un destin capricieux décida alors de ne pas me rendre la vie trop facile. Je me dirigeais vers l’écurie pour voir si Brockley y était quand Thomas, le palefrenier, sortit dans la cour déserte.
— Bien le bonjour, dame Blanchard. Vous êtes rudement belle, aujourd’hui.
Alors, à mon grand dam, il m’enlaça et essaya de m’embrasser. Je résistai avec indignation, les lèvres serrées pour l’empêcher d’introduire sa langue, et je tentai de me dégager de son étreinte. Comme il s’obstinait, je lui écrasai le pied de toutes mes forces. Il portait des bottes en cuir souple, et quand j’eus planté mon talon à la jointure de ses orteils, il s’empressa de me lâcher.
— Allons, allons, pas besoin de se fâcher !
— Tout au contraire ! Comment osez-vous ? Si je vous dénonce à Mr. Mason, vous perdrez votre emploi.
— Oh non, je ne crois pas ! rétorqua Thomas avec nonchalance, quoique souffrant visiblement du pied gauche – pour ma plus grande satisfaction. Ce n’est pas un crime de voler un baiser, surtout à une femme qui en est prodigue. Nous sommes tous au courant de ce qui se raconte.
— De quoi parlez-vous ?
— C’est pas un reproche, remarquez, faut pas croire. Vous êtes une jolie femme, et toute seule au monde, il paraît. Vous avez vos désirs, comme chacun de nous. Vous avez mieux à faire que de vous contenter d’un serviteur guindé et plus dans sa prime jeunesse.
— Me contenter d’un… ? Mais enfin, que raconte-t-on de moi ?
— Ça se savait dans toute la maison dès avant votre arrivée. Mr. Mason ne voulait pas que vous veniez, mais sa bonne dame avait besoin d’aide pour les filles et refusait d’ajouter foi à la rumeur. Vous étiez déjà venue, pas vrai ? Elle vous connaissait.
— Mais enfin, quelle rumeur ? Qui a répandu ces histoires à mon sujet ?
— Qui, je saurais pas le dire, mais des histoires, y en a eu. Et depuis que vous êtes là, ajouta-t-il en souriant de toutes ses dents, on a tous remarqué votre manège avec Brockley. Redman vous a vus sortir d’une pièce du haut ensemble, avec un drôle d’air sur le visage, qu’il a dit. Plutôt dur pour votre femme de chambre d’avoir à partager son mari, mais, pour sûr, vous êtes une sacrée tentation.
Ainsi, Mason avait bien essayé de m’empêcher de venir. Pour dissuader Ann, il avait prétendu que, selon certains bruits, j’étais une femme aux mœurs légères. À l’évidence, Ann s’était fiée à son propre jugement, mais ces perfides insinuations s’étaient répandues dans toute la maison.
— Écoutez, Thomas, vous ne devriez pas prêter l’oreille aux commérages. Brockley est mon serviteur et rien de plus. Redman devrait avoir honte de tenir ces propos scandaleux. Ne vous avisez plus de porter la main sur moi et soyez assez bon pour faire savoir que je ne suis pas aussi complaisante qu’on le croit. Quant à Brockley, où est-il ?
— Il amène les poneys du pré pour les gamins.
— Bien. Je pensais, ajoutai-je d’un ton sec avant de m’éloigner, que vous en aviez après Jennet. Il me semble que c’est plutôt vous qui êtes prodigue de vos faveurs ! À courir plusieurs lièvres à la fois, on risque de se retrouver bredouille !
Sur quoi, je me dirigeai vers la porte latérale donnant sur les pâturages, en espérant trouver Brockley. À mon vif soulagement, il arrivait, à califourchon sur un poney et conduisant les deux autres par la longe. Je ne fis pas allusion au comportement de Thomas. Cela l’aurait mis en colère, or je ne voulais pas le distraire de notre entreprise, et encore moins provoquer une rixe. Je me tiendrais sur mes gardes, à l’avenir, et je n’irais plus jamais aux écuries sans être accompagnée.
J’expliquai à Brockley ce que
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