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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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silencieux, comme étranger au débat ou dépassé par les événements. Soudain, il frappa violemment du poing sur la table.
    — Bande de couards émasculés ! Cette flotte puissante a été armée pour Goa par notre roi Filipe parce qu’il importe cette année encore de conduire dans nos territoires ceux qui auront la charge de les défendre ou d’y exercer des fonctions, et d’en rapporter les richesses que les entrepôts indiens rassemblent pour la Casa. C’est toute la nation portugaise qui respire au rythme des flottes depuis que la route des Indes a été ouverte par deux générations de prédécesseurs intrépides. Dieu a voulu que je prenne le commandement de celle-ci en cours de route. Des capitaines indisciplinés ont déjà abandonné l’escadre malgré les ordres royaux formels. Ces félons qui seront punis ont au moins le mérite personnel d’avoir décidé de gagner indépendamment Goa parce qu’ils savaient pouvoir compter sur des équipages valeureux. Personne à leur bord n’a tenté de les dissuader de faire route. Comment seriez-vous loyaux à votre roi en laissant ces parjures fairevoiles vers les Indes sans oser les suivre ? La date du retour à Lisbonne n’est dépassée que de quatre jours et vous reculez de peur devant la mission qu’il vous a confiée. Vous n’êtes que des pleutres indignes de vos charges !
    Il martelait ses invectives du poing. Chaque coup faisait vaciller les ombres portées par la chandelle, et tressauter le crucifix en ivoire posé sur la table comme si le Christ lui-même sursautait sur sa croix.
    — Je jure sur ce crucifix sur lequel je pose ma main que je conduirai en Inde le restant de la flotte sans jamais reculer d’un empan. J’ordonnerai de jeter à la mer ou de pendre aux vergues comme mutins ceux qui failliraient à leur devoir. Suis-je clair ?
    Ayant repris la main, Noronha précisa calmement ses intentions :
    — Nous descendrons comme autrefois chercher les grands vents d’ouest qui règnent aux quarantièmes degrés sud en franchissant vent arrière le méridien de Tristan da Cunha à la latitude de l’île sur laquelle nous recalerons notre estime. Je vous promets que nous allons rattraper le temps perdu et que nous serons aux Aiguilles de l’Afrique avant la seconde quinzaine de juillet. Nous prendrons par le dehors de São Lourenço où l’alizé nous poussera tribord amures vers la mousson finissante. Nous arriverons à Goa comme le roi nous en a donné l’ordre.

    La route por fora – par le dehors – consistait à éviter le canal de Mozambique et à chercher les alizés du sud-est dans l’est de l’île de São Lourenço que ses habitants Malagas ou Madagas nommaient Madagascar. On se recalait ensuite sur les Mascareignes qui tiraient leur nom de leur découvreur, Pêro Mascarenhas. Curieusement, alors qu’elle permettait de tirer parti d’un régime des vents très favorable, cette alternative au transit besogneux et inquiet par Mozambique était rarement utilisée. La controverse sur cette route opposait les commerçants, soucieux d’arriver au plus vite pour faire de meilleurs profits à la plupart des autres, qui mettaient en avant la crainte d’une recrudescence des enflures des jambeset des gencives pour recommander de faire une escale de rafraîchissement à Mozambique pendant une dizaine de jours. La route par le dehors risquait aussi d’amener les navires jusqu’à Cochin, trop au sud et trop tard dans la saison pour remonter jusqu’à Goa.

    Dom Cristóvão dégrafa son col et s’épongea le front d’un mouchoir de dentelle dont la féminité sembla incongrue dans cette assemblée de navigateurs en colère. Il étendit les jambes en reculant son fauteuil pour signifier que le conseil était levé. Son discours avait pétrifié l’assistance qui se rassembla, visages fermés, pour un conciliabule bourdonnant. Une décision prise à la majorité du conseil des maîtres s’imposant à chacun quel que fût son rang, les menaces de l’amiral étaient illégitimes et ses intentions de pure forme. D’un autre côté, par ordre du roi, nul ne pouvant s’opposer aux décisions d’un pilote-major, l’avis favorable de Joaquim Baptista Fernandes, bien que minoritaire, était à prendre en compte. Sans même polémiquer sur le fond, la jurisprudence maritime exigeait de clarifier la forme de ce cas d’école.
    En tout état de cause, si le destin de Nossa Senhora do Monte do Carmo était assurément

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