L'archer du Roi
par la scène, car il tourna
bride et, tirant son épée, aiguillonna l’homme du bout de sa lame. Le prêtre
leva les yeux et, à la grande surprise de Thomas, enfonça brutalement son bâton
dans la gorge de l’étalon. L’animal eut un mouvement de recul et le prêtre en
profita pour abattre son bâton sur le bras du cavalier. Celui-ci, déstabilisé
par le sursaut de son cheval, tenta de lui percer le corps avec sa longue lame.
L’autre cavalier était déjà désarçonné, bien que Thomas ne l’eût pas vu tomber,
avec l’homme en cotte de mailles à califourchon sur lui, le couteau à la main.
Thomas contempla la scène, perplexe, car le cri qu’il avait
entendu n’avait pu être poussé ni par les cavaliers, ni par le prêtre, ni par l’homme
aux longs cheveux noirs. Et pourtant, hormis eux, l’endroit était désert. L’un
des deux cavaliers était déjà mort, tandis que l’autre se battait en silence
avec le prêtre. Thomas eut l’impression de rêver, d’assister à un combat
irréel, à la représentation muette d’un conte moral : le cavalier en noir
était le diable, et le prêtre était la volonté de Dieu. Peut-être l’issue du
combat l’aiderait-elle à résoudre ses doutes à propos du Graal.
Le tirant de ses réflexions, le père Hobbe attrapa l’arc de son
ami en s’écriant : « Allons à sa rescousse ! »
Mais le prêtre n’avait pas besoin d’aide. Se servant du
bâton comme d’une épée, il parait les coups de son adversaire, plongeait en
avant pour lui briser les côtes. L’homme à la longue chevelure noire intervint
alors, plongeant une épée dans le dos du cavalier, qui se plia en deux et
laissa tomber son arme. Pendant quelques instants, le regard de ce dernier
s’accrocha à celui du prêtre, puis il tomba à la renverse, désarçonné. Ses
pieds restèrent pris dans les étriers et le cheval, saisi de panique, escalada
la colline au galop. Son meurtrier essuya la lame de son épée, puis s’empara du
fourreau de l’une des victimes.
Le prêtre s’était précipité pour retenir l’autre cheval.
Sentant qu’il était observé, il se retourna et distingua les silhouettes de
deux hommes et d’une femme dans le brouillard. L’un des hommes était un
religieux qui se tenait prêt à tirer la flèche passée dans la corde de son arc.
— Ils allaient me tuer ! protesta Bernard de
Taillebourg en français.
Son valet se retourna vivement en brandissant une épée
menaçante.
— C’est bon, dit Thomas au père Hobbe en prenant l’arc
des mains de son ami.
Il suspendit l’arme à son épaule.
Dieu avait parlé, le prêtre était sorti vainqueur du combat.
Thomas se souvint de sa vision de la nuit précédente. Puis il vit que, sous les
plaies et le sang, le visage de l’étrange prêtre était une face de martyr, aux
traits durs et secs, et que son regard était celui d’un ascète qui, de toute
évidence, atteignait à la sainteté. Saisi d’une crainte respectueuse, il se
retint de ne pas tomber à genoux.
— Qui êtes-vous ? cria-t-il.
— Je suis un avant-coureur.
Bernard de Taillebourg s’était accroché à la première
explication qui lui était venue à l’esprit pour masquer son désarroi. Lui qui
venait d’échapper à son escorte écossaise devait maintenant trouver le moyen
d’échapper à un grand jeune homme armé d’un grand arc. C’est alors qu’une volée
de flèches siffla à ses oreilles. Un trait alla se ficher dans le tronc d’un
orme juste à côté de lui, et un second s’abattit dans l’herbe mouillée en
patinant sur plusieurs pas. Un cheval hennit tout près, des cris désordonnés
retentirent.
Le père de Taillebourg ordonna à son valet d’aller arrêter le
deuxième cheval qui gravissait la colline au trot. Lorsque ce fut fait,
l’étranger à l’arc, qui l’avait visiblement oublié, consacrait son attention à
l’endroit d’où étaient parties les flèches.
Il tourna bride du côté de la ville, cria à son valet de le
suivre et éperonna le cheval dont il venait de s’emparer.
Pour Dieu, pour la France, pour saint Denis et pour le
Graal !
Sir William Douglas jura et sacra. Tout autour de lui, les
flèches sifflaient. Des chevaux hennissaient et des hommes étaient allongés
dans l’herbe, morts ou blessés. L’espace d’un instant, il était resté pétrifié,
cherchant à comprendre, puis il s’était rendu à l’évidence : son
expédition était tombée sur des
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