L'archer du Roi
allons dans le camp sud, Sire, pour aller quérir
de l’aide.
Charles opina du chef en se disant que cet ordre aurait dû
venir de lui et en regrettant d’avoir tant insisté pour que personne ne quitte
son campement. Plus de la moitié de son armée était confinée dans les trois
autres campements, piaffant d’impatience. Mais ses gens obéissaient à ses
ordres et, par conséquent, se trouvaient dans l’incapacité de mettre cette
horde désorganisée en déroute.
— Où est mon trompette ? demanda-t-il.
— Me voici, Votre Grâce.
Le sonneur de trompette avait miraculeusement survécu aux
combats.
— Sonne les sept sonneries ! ordonna le duc.
— Pas ici ! jeta un religieux.
Devant le regard offensé de son souverain, le prêtre s’empressa
d’expliquer :
— Cela attirera l’ennemi, Votre Grâce. Au bout de deux
sonneries, ils seront sur nous comme une meute de chiens de chasse.
Charles reconnut la justesse du conseil par un bref
hochement de tête. Une douzaine de chevaliers l’entouraient à présent. C’était
une force impressionnante au milieu du sauve-qui-peut général. L’un d’entre eux
risqua un coup d’œil dehors. Apercevant les flammes qui s’élevaient dans le
ciel, il comprit que la tente du duc serait bientôt en feu.
— Nous devons partir, Votre Grâce, dit-il, nous devons
trouver nos chevaux.
Ils sortirent, se hâtant à travers le carré d’herbe piétinée
où se tenaient habituellement les guetteurs du duc. Une flèche jaillit dans
l’obscurité, ricochant sur une plaque d’armure. Des cris retentirent soudain
près d’eux et une horde furieuse apparut sur la droite. Charles battit en
retraite sur sa gauche, ce qui le ramena sur la pente menant au moulin, puis un
rugissement révéla qu’il avait été repéré et les premières flèches sifflèrent
sur la colline.
— Trompette ! hurla le duc. Sept sonneries !
Sept sonneries !
Charles et ses fidèles, dans l’incapacité de rejoindre leurs
chevaux, se plaquèrent contre le tablier du moulin, constellé de flèches à
empenne blanche. Une nouvelle flèche vint se planter dans l’estomac d’un
chevalier, s’insinua sous sa cuirasse, traversa son ventre et les mailles, et
le cloua contre les planches du moulin. Puis une voix anglaise s’éleva pour
crier aux archers de cesser le tir.
— C’est leur duc ! Nous le voulons vivant ! Cessez
le tir ! Bas les arcs !
Un grondement jailli de dizaines de poitrines accueillit la
nouvelle. Charles de Blois était acculé au moulin ! Les flèches cessèrent
de voler et les hommes d’armes battus, ensanglantés, qui défendaient la
colline, virent au bas de la pente une masse de créatures menaçantes rôdant
comme des loups en chasse.
— Que Dieu nous vienne en aide ! dit un prêtre, de
l’effroi plein la voix.
— Trompette ! jeta Charles.
— Oui, Votre Grâce, acquiesça le musicien.
Par quelque mystère, l’embouchure de son instrument s’était
retrouvée pleine de terre. Sans doute l’avait-il fait tomber, mais il n’en
avait aucun souvenir. Il secoua le reste de terre, puis porta la trompette à sa
bouche et la première sonnerie retentit, douce et puissante, dans la nuit. Le
duc tira son épée. Il lui suffisait de défendre le moulin jusqu’à l’arrivée des
renforts qui enverraient cette meute effrontée en enfer. La deuxième note troua
la nuit.
Thomas entendit la trompette, tourna la tête et vit l’éclair
d’argent luire près du moulin. Le reflet de la lumière ricocha sur le pavillon
de l’instrument au moment où le sonneur le levait vers la lune pour la
troisième fois.
Le jeune archer n’avait pas entendu l’ordre de cesser le
tir. Il arma son arc, donna un petit coup sec de la main gauche, et décocha. La
flèche cingla l’air par-dessus la tête des hommes d’armes anglais et frappa le
sonneur de trompette au moment où il prenait son souffle pour la troisième
sonnerie. Il s’écroula sur le sol, et des bulles d’air ressortirent en sifflant
de son poumon transpercé. La masse sombre qui rôdait au pied de la colline le
vit tomber et, soudain, chargea.
Charles ne reçut aucun renfort des trois forts toujours
debout. Ses troupes avaient entendu les deux coups de trompette, mais deux
seulement, et ils en déduisirent que c’était signe de victoire. De plus, ils
avaient reçu l’ordre strict, constamment répété, de rester où ils étaient sous
peine de perdre la récompense promise. Ils
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