L'archer du Roi
titubant, les yeux ensanglantés par un coup
d’épée.
— Écosse !
Lord Robert humait l’odeur de la victoire. Elle était tout
près ! Il força le passage, sentit la ligne anglaise se mouvoir, reculer,
vérifia à quel point elle était réduite, para un coup avec son bouclier, frappa
d’estoc un ennemi tombé à terre pour l’achever, cria à ses écuyers d’ouvrir
l’œil afin de déceler la présence de tout riche noble anglais dont la rançon
était susceptible d’enrichir la maison des Stuart.
Les hommes ahanaient, frappaient et taillaient en pièces. Un
homme des tribus marchait en chancelant, tentant de maintenir ses entrailles à
l’intérieur de son ventre ouvert. Un tambour battait pour encourager les
Écossais.
— Amenez-moi mon cheval ! cria lord Robert à un
écuyer.
Il savait que les lignes anglaises allaient être brisées
d’un moment à l’autre, et qu’alors il monterait en selle, prendrait sa lance et
poursuivrait l’ennemi défait.
— Sus ! Sus ! hurla-t-il. Sus !
Et l’homme qui agitait la longue pique, le géant écossais
qui avait fait une percée dans le premier rang anglais et qui paraissait ouvrir
une voie sanglante vers le sud à lui tout seul, émit soudain un mugissement. Sa
pique brandie en l’air, toujours ornée de la visière en miettes, fléchit. Il
fit un bond et sa bouche s’ouvrit et se referma à plusieurs reprises, mais il
ne pouvait parler parce qu’une flèche à l’empenne ensanglantée était enfoncée
dans sa tête.
Une flèche, c’est ce que vit lord Robert. Et soudain, une nuée
de flèches tomba du ciel et il descendit la visière de son heaume, de sorte que
le jour s’obscurcit.
Ces maudits archers anglais étaient de retour.
4
Sir William Douglas ne se doutait pas que cette tranchée
creusée dans le flanc de l’arête était si profonde et si raide. Lorsqu’il
arriva au fond, arrosé par une pluie de flèches, il découvrit qu’il ne pouvait
plus ni avancer ni reculer. Les hommes d’armes des deux premiers rangs étaient
soit morts, soit blessés, et leurs corps formaient un amoncellement qu’il lui
était impossible de gravir avec sa lourde cotte de mailles. Robbie, au mépris
du danger et à grand renfort de cris de défi, essaya de franchir l’obstacle,
mais son oncle le tira en arrière sans cérémonie et l’envoya au fond du trou.
— Ce n’est pas un endroit pour mourir, Robbie !
— Bâtards !
— Ce sont peut-être des bâtards, mais les cornards,
c’est nous !
Sir William s’accroupit auprès de son neveu et recouvrit
leurs deux corps de son gigantesque pavois. Repartir en arrière était
impensable, car ce serait fuir l’ennemi, mais il ne pouvait pas davantage
avancer. La force avec laquelle les flèches venaient se ficher dans son
bouclier était impressionnante.
Une horde d’hommes des tribus, plus agiles que les hommes
d’armes car ils refusaient de porter une armure de métal, passèrent près de lui
en poussant des cris de sauvages et tentèrent de se frayer un chemin, jambes
nues, par-dessus l’amoncellement des mourants. Mais les flèches anglaises se
mirent à voler, les contraignant à battre en retraite.
Les traits venaient frapper leur cible avec une précision
diabolique, et, au fur et à mesure, les hommes des tribus atteints poussaient
des cris de bête en se cabrant et en se tordant, agités de soubresauts. À
chaque projectile, un flot de sang jaillissait, de telle sorte que sir William
et Robbie Douglas, indemnes sous leur lourd pavois, étaient éclaboussés de
rouge.
Non loin de là, il se produisit un tumulte soudain parmi les
hommes d’armes écossais, et les flèches tombèrent encore plus dru. Furieux, Sir
William leur intima en rugissant l’ordre de se coucher, car mieux valait éviter
d’attirer l’attention et faire croire aux archers anglais que leurs ennemis
étaient tous passés de vie à trépas. Mais on lui cria que le comte de Moray
avait été touché. « Pas trop tôt », confia Douglas à son neveu.
Il haïssait le comte encore plus que les Anglais. Lorsqu’un
soldat annonça en criant que Sa Seigneurie n’était pas seulement touchée, mais
qu’elle avait trépassé, il accueillit la nouvelle avec un sourire de joie
mauvaise. Puis une nouvelle grêle de flèches imposa le silence aux hommes du
comte et sir William entendit les projectiles résonner sur le métal, s’enfoncer
sourdement dans les chairs, taper sur le bois de saule des
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