L'archer du Roi
depuis
que notre roi lui a rendu visite l’année dernière.
— J’y étais.
— Alors, vous savez qu’ils ne nous aiment pas.
Le capitaine avait raison. Les Anglais avaient tué des gens
par milliers à Caen, puis brûlé les fermes, les moulins et les villages en
ravageant la région à l’est et au nord. C’était une façon cruelle de faire la
guerre, mais qui permettait d’attirer l’ennemi hors de ses retranchements pour
engager la bataille. Sans doute était-ce la même méthode qu’appliquait le comte
de Coutances avec les terres d’Evecque, dans l’espoir que messire Guillaume
quitte l’abri de ses murailles de pierre pour les défendre. Seulement, messire
Guillaume, avec ses neuf hommes, ne pouvait espérer affronter le comte dans une
bataille.
— Des affaires nous attendent à Caen, lâcha Thomas, si
nous pouvons atteindre cette ville.
Le capitaine fourra un index dans sa narine, puis jeta
quelque chose dans les vagues.
— Essayez de trouver les Troï Frairess, dit-il.
— Les quoi ?
— Troï Frairess , répéta-t-il. C’est un bateau et
c’est son nom. Il est français. Il n’est pas grand, pas plus large que ce petit
baquet.
Il avait pointé le doigt vers une petite barque de pêche à
la coque passée à la poix. À son bord, deux hommes lançaient des filets lestés
dans la mer démontée tout autour des Casquets.
— C’est un homme qui s’appelle Pierre le Hideux qui
commande les Troï Frairess. Il vous emmènera peut-être jusqu’à Caen, ou
peut-être jusqu’à Carteret ou Cherbourg. Mais ce n’est point de moi que vous
tenez son nom.
— Certes non ! assura Thomas.
Sans doute le capitaine voulait-il dire que Pierre le Hideux
commandait un bateau appelé Les Trois Frères.
Il regarda la barque de pêche en pensant à la vie de ces
pêcheurs qui tentaient de tirer leur subsistance de cette mer hostile. Il était
sûrement plus facile de vivre de la contrebande de la laine et du vin entre la
Normandie et les îles.
Pendant toute la matinée, ils firent voile vers le sud.
Enfin, ils aperçurent la terre. Une petite île était située à l’est et une plus
grande, Guernesey, à l’ouest. Sur les deux îles, les cheminées laissaient
échapper des colonnes de fumée, promesse d’un toit et d’un bon repas chaud.
Hélas, cette promesse s’évapora dans le ciel, car le vent changea de direction,
la marée baissa et il fallut àl’ Ursula le reste de la journée
pour atteindre le port, où elle jeta l’ancre à l’ombre menaçante du château
construit sur le roc.
Thomas, Robbie et le père Pascal furent conduits à terre à
la rame. Ils échappèrent à la morsure de la bise en se réfugiant dans la
quiétude d’une taverne où un feu dansait dans une vaste cheminée, à côté de
laquelle ils prirent place pour déguster du poisson en daube, accompagné de
pain noir et d’une bière aqueuse.
Ils dormirent ensuite sur des sacs remplis de paille où
grouillait joyeusement la vermine.
Il leur fallut attendre quatre jours avant que Pierre le
Hideux, dont le véritable nom était Pierre Savon, vînt mouiller au port, et
deux jours de plus avant qu’il ne fût prêt à reprendre le large avec une
cargaison de laine sur laquelle aucun impôt ne serait prélevé. Ledit Pierre
était enchanté de prendre des passagers, auxquels il réclama un prix que les
deux jeunes gens assimilèrent à de l’escroquerie. Le père Pascal fut transporté
sans bourse délier grâce à sa double qualité de Normand et de prêtre car, à en
croire Pierre le Hideux, comme Dieu l’aimait deux fois plus à ce titre, il
était fort improbable que Les Trois Frères sombrent tant que le père
Pascal serait à bord.
En effet, Dieu devait aimer le prêtre, car Il envoya une
douce brise d’ouest, des cieux clairs et une mer calme, qui permirent aux Trois Frères de voler quasiment au-dessus des eaux jusqu’à l’Orne. Ils
remontèrent jusqu’à Caen avec la marée et arrivèrent au matin. Lorsqu’ils
furent à terre, le père Pascal bénit ses deux compagnons avant de soulever sa
robe mitée et de se mettre en route pour Paris.
Thomas et Robbie, lourdement chargés de leur bagage de
cottes de mailles, d’armes, de flèches et de vêtements de rechange, se
dirigèrent vers le sud en traversant la ville.
L’aspect de Caen n’avait pas changé depuis l’année
précédente, quand Thomas l’avait quittée après son saccage par les archers
anglais. Ceux-ci,
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