L'assassin de Sherwood
plus vite ? Ou quelqu’un nourrissant des intentions plus sinistres ? Il entoura la chope de ses mains. Son regard perçant fit brièvement le tour de la salle : il ne vit aucun étranger et fut convaincu que personne ne l’observait. Il leva la chope et en renifla le contenu. Sous l’odeur de malt, il décela un arôme plus subtil, plus amer, plus piquant. Il la reposa et respira profondément en s’efforçant de maîtriser sa panique. Sa bière avait-elle été empoisonnée ou perdait-il la tête ? Il se rappela le tueur de rats, entraperçu à l’extérieur, qui chauffait ses vieux os au soleil, adossé au mur de l’estaminet et vautré sur les pavés. Il alla le voir. Le bonhomme au visage sillonné de rides et au teint cireux leva les yeux :
— Voulez me causer, Messire ?
Corbett lui montra une pièce d’argent en désignant des cages vides et rouillées :
— Tu peux m’attraper un rat ?
L’autre vit l’éclat du métal précieux et sa bouche s’élargit en un rictus édenté.
— Les oiseaux peuvent-ils voler ?
S’emparant d’une petite cage, il se dirigea d’un pas traînant vers un bâtiment, mi-grange, mi-fenil. Corbett s’assit et attendit un quart d’heure. Le compère revint enfin. Un gros rat à longue queue et aux yeux rouge sang, luisant de fureur, se débattait dans la cage. Il poussait agressivement contre les barreaux son museau aux incisives saillantes et jaunâtres.
— C’est le roi des rats ! déclara l’homme. Vous l’vouliez vivant, hein ?
Il tendit une paume crasseuse. Corbett y mit l’argent.
— Il y a une autre pièce pour toi si tu trouves du fromage et restes bouche cousue sur ce que tu vas voir.
Le tueur de rats ne répondit rien mais fouilla dans une bourse graisseuse et donna à Corbett un morceau de fromage mou, si avarié qu’il puait.
Corbett plaça la cage sur le sol et le fromage à côté. Le rat plaqua son museau contre les barreaux, alléché par l’odeur. Corbett versa alors le contenu de sa chope sur le fromage et poussa le morceau dans la cage à l’aide d’un bout de bois ; le rat s’y attaqua avec voracité, arrachant des bribes à la façon d’un homme croquant une pomme. Le fromage disparut, le rat leva la tête, humant l’air, puis soudain fit un mouvement de côté. Il roula sur le dos, griffant le vide et montrant son ventre sale. Une substance verdâtre apparut entre ses mâchoires pendant qu’il était agité des derniers soubresauts.
— J’en mangerai plus d’ce foutu fromage !
Le tueur de rats dévisagea Corbett de ses yeux de fouine.
— Ou plutôt, vous feriez mieux d’faire attention à ce que vous buvez, Messire !
Corbett rentra dans l’auberge et appela le tavernier. Il essayait de calmer sa peur rétrospective. Il lui tendit la chope et de l’argent.
— C’est le repas le plus cher de toute mon existence !
L’aubergiste eut l’air intrigué.
— Détruis cette chope ! lui ordonna Corbett. Et apporte-moi un verre de ton meilleur clairet. Mais c’est moi qui vais choisir le gobelet et tirer le vin.
Guy de Gisborne fit halte et scruta la pénombre sous les hautes futaies. Sa face rougeaude était baignée de sueur sous le heaume pesant et le camail. Il eut un sourire satisfait en voyant la longue ligne des forestiers et verdiers.
— Je vais montrer au roi, ainsi qu’à son clerc de malheur et à ce bâtard de Branwood, comment on se débarrasse d’un hors-la-loi !
Son coeur bondit dans sa poitrine en pensant au sort qu’il réservait à Robin des Bois. Il haïssait le brigand pour la compassion – trop souvent glorifiée ! — qu’il professait envers les petites gens, pour son remarquable talent d’archer, sa connaissance de la forêt et surtout la façon dont, à plusieurs reprises, il avait roulé et piégé Gisborne en personne, avant d’entrer dans les bonnes grâces du souverain et d’être amnistié.
Gisborne grinça des dents et grimaça de douleur, à cause d’un abcès à la gencive. Il avait vu, la rage au ventre, Robin des Bois devenir membre de la Maison du roi et se pavaner comme un grand seigneur dans les rues de Nottingham ou parmi les pavillons de soie des généraux d’Édouard en Écosse. Il avait été le témoin forcé des faveurs dont le monarque avait comblé le hors-la-loi et des privilèges qu’il lui avait accordés tout en se servant de son adresse à l’arc pour pourchasser Wallace, le chef des rebelles écossais, dans les
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