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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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asst'heure ! Je l'aurais pas vue avec vous, cette boucaneuse, tiens non ! Mais des goûts, faut pas discuter. C'est une drôlesse qui suce le cruchon et au'te chose, sait pousser la gueulée et danser la gigue et l'éclanche. Allez, avec elle tu pourras farauder et gigoter.
    Il s'engagea avec prudence dans un escalier pourri aux degrés branlants. Les parois de la cage étaient recouvertes du noir de la fumée qui sortait des galetas et des carrés. Plus il gravissait les étages, plus les stigmates de la misère lui sautaient aux yeux. Les portes ouvertes offraient des visions de vie pitoyables : familles entassées dans des soupentes, enfants à moitié nus, couchés pêle-mêle à terre au milieu de grabats sans draperies, pots et ustensiles de cuisine voisinant avec des vases de nuit. Il constatait tout cela, étourdi par le bruit d'un martèlement continu. Dans ces repaires et faute de souliers, luxe inaccessible, le choc des sabots sur les planches rythmait la vie. Ici, point de papier peint ou de siamoise, seuls des morceaux d'annonces décollées dans les rues recouvraient les murailles de leur triste assemblage.
    Son cœur se serrait et il comprit soudain certaines poussées de révolte de Bourdeau : cette pauvreté qui, il se l'avouait secrètement, justifiait bien des propos outranciers, ces lieux sans échappatoires possibles appartenaient au bruit et à la promiscuité : tout y était machine et la vie intime y fuyait de toute part. En haut de la maison, il s'accouda un moment contre la rambarde d'un balcon, observant sur le toit voisin deux chats qui se poursuivaient. Dans un pareil endroit, comment pouvait-on vivre, respirer, exister tout simplement ? Il prenait conscience d'une injustice que la pitié et la charité ne suffisaient pas à effacer. Il sentit fortement, et pour la première fois, que ce théâtre des misères symbolisait la manière définitive dont les jeux étaient en quelque sorte faits pour ceux qui avaient le malheur d'y naître.
    Il demeura pensif un petit quart d'heure avant de retrouver la commère. Un double louis et quelques commentaires suffirent à la convaincre. Elle assurerait au tout venant s'enquérant de sa visite qu'il recherchait une certaine demoiselle Freluche, laquelle il n'avait pas trouvée chez l'amie qui l'hébergeait, toutes deux ayant décampé dès potron-minet. Pour la conforter dans sa loyauté, il lui promit de revenir la remercier de ce service. Il lui parut d'ailleurs que, fine mouche, elle avait fini par deviner son état. Retrouvant son cabriolet, il repéra une ombre dans une embrasure ; le poisson était ferré ! À haute voix il ordonna le retour au Grand Châtelet. L'équipage s'ébranla sans hâte pour reprendre la direction du fleuve par la rue de l'Arbre-Sec. De la glace arrière il observa le quidam s'entretenant avec un homme assis dans la voiture qui le suivait. Ils se précipitèrent dans le cul-de-sac. D'évidence le piège avait fonctionné.
    Cette plongée dans l'univers des misères continuait à l'oppresser ; l'odeur malsaine et puante des hardes le poursuivait. Le peuple continuait à se chauffer au bois. Humide et de mauvaise qualité, il brûlait mal et sans chaleur et ne favorisait guère le lavage. D'obscurs préjugés entouraient l'usage du charbon malodorant, aux effluves réputés maléfiques. Ainsi le malheur côtoyait les palais des rois tout proches et la foule des ouvriers, portefaix et gagne-deniers, qui coltinaient les masses nécessaires à la vie de la capitale du royaume, s'entassait dans les paroisses les plus proches du fleuve. Les maisons y étaient antiques et mal bâties, et pourtant chacun s'y portait et s'y resserrait. Beaucoup n'y resteraient guère, déménageant un jour à la cloche de bois, en laissant des hardes ou un vieil ustensile en dédommagement.
    Quoi de commun entre ces malheureux sans espérance et celui qu'il avait vu acclamé sur le parvis du sacre ? Il se mit à rêver d'une monarchie paternelle relevant la vieille alliance entre le roi et son peuple et rétablissant l'équilibre entre les faibles et les puissants.
    Par le quai de Bourbon, puis en contournant le vieux Louvre, son cabriolet filait bon train. Il rejoignit le Château d'eau et enfila la rue de Chartres. Dans la ruelle des Beaujolais, il repéra une taverne, endroit idoine pour prendre des informations. Poussant la porte aux vitres enfumées, il faillit choir, des degrés descendaient aussitôt dans une salle obscure. Il

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