Le calice des esprits
affirmant que le roi
Philippe de France veut agir contre l'ordre du Temple...
— C'est impossible !
l'interrompis-je.
— Écoutez-moi, Mathilde,
dit-il en me donnant une petite tape sur la joue. Ce que votre oncle a
découvert aujourd'hui, c'est que demain matin chaque templier du royaume de
France sera arrêté et accusé de sorcellerie, de magie noire, de sodomie et de
Dieu sait quoi encore.
— Ce sont des
mensonges ! fulminai-je.
— Les souhaits du roi sont
des ordres, rétorqua-t-il. Depuis des années les banquiers et les marchands
prétendent que les caisses de Philippe sont vides. Le souverain rêve de l'or et
de l'argent, des richesses, des terres, des châteaux, des granges, des pâtures
et des prairies des templiers. Il estime que l'ordre est un repaire de sorciers
et d'enchanteurs, de magiciens et d'envoûteurs. Il a prié le pape Clément V de
l'abolir et d'en arrêter les chefs, chaque chevalier, dont votre oncle...
J'allais bondir quand Simon me
repoussa.
— Non. Écoutez ce que j'ai à
dire, Mathilde. Si cela est vrai, si Philippe de France a décidé de détruire le
Temple, quiconque a un lien avec cet ordre et en porte l'insigne, qu'il
s'agisse d'un chevalier, d'un sergent, d'un page, d'un seigneur ou d'une
servante, sera suspecté. Vous ne pouvez aider votre oncle. Avant demain soir il
sera appréhendé. Il peut tenter de fuir, mais il sera capturé. Les accusations
auxquelles les templiers sont confrontés sont épouvantables.
— Pourquoi ? voulus-je
savoir.
— Le lucre, expliqua Simon.
Le pur goût du lucre, le désir d'un roi puissant de piller une congrégation
florissante. Mathilde, il y a sept ans environ, Philippe de France a voulu
rejoindre l'ordre du Temple ; il désirait en devenir grand maître à la
mort de son épouse.
Il baissa la voix.
— On raconte qu'en fait
Philippe a assassiné sa femme, Jeanne de Navarre, pour y parvenir, ne plus être
marié, être célibataire, mais les templiers n'ont pas voulu de lui. Philippe
n'oublie jamais ni un affront ni une insulte. De plus, il a besoin d'argent.
Peu lui importent le moyen de l'obtenir ou les fables qu'il doit forger.
— Mais le pape ?
objectai-je.
Mon interlocuteur fit une petite
grimace.
— Le pape... Le pape,
Bertrand de Got, Clément V, est l'ami du roi, et a trouvé refuge en
Avignon ! Que croyez-vous que Clément V répondra, surtout quand Philippe
lui offre de partager le butin ?
— Et les autres
princes ? bégayai-je.
Je connaissais un peu les affaires
du Temple et me souvenais des propos de mon oncle disant que l'ordre possédait
des maisons depuis le fin fond de l'Irlande jusqu'aux frontières des terres
glacées de l'Est. Vitry rentra la tête dans les épaules.
— Rien ne change le cœur de
l'homme comme un trésor, Mathilde !
— Et moi ?
questionnai-je.
Il me menaça de son doigt osseux.
— Si vous sortez dans la rue,
si on vous reconnaît pour ce que vous êtes, vous serez arrêtée. Vous n'êtes
plus Mathilde de Ferrers mais Mathilde de Clairebon, venant de la ville de
Poitiers, ma lointaine parente pauvre engagée comme servante en ma maison. Ne
me trahissez pas, Mathilde. Ne me mettez pas, moi et les miens, en danger,
sinon je vous livrerai aux sergents royaux. Ils vous enchaîneront et vous
traîneront au Grand Châtelet ou dans quelque autre prison où vous risquerez
soit d'être enterrée vive, soit de subir un simulacre de procès avant d'être
conduite au gibet ou au bûcher.
Il fit la moue.
— Je pourrais encore le
faire. Il y aura une récompense, de l'argent pour ceux qui trahiront les
templiers ou leurs fidèles ; bien peu échapperont aux rets de Philippe.
Ma main frôla la dague que je
portais à la ceinture.
— Ne me menacez point, railla
Simon. Cela ne me fait pas peur. J'ai des serviteurs. Il suffit — il
farfouilla sous sa robe et en sortit un sifflet au bout d'une chaîne
d'or — que je m'en serve et vous périrez. C'est aussi facile que de
souffler une chandelle. Mais je dois une faveur à votre oncle. Il y a bien des
années il m'a sauvé la vie ; et depuis il m'a toujours traité avec
honneur. C'est pour lui que je fais ceci, non pour vous. Vous êtes ma
prisonnière. Cette chambre sera votre univers jusqu'à ce que je vous avertisse
qu'il y a du changement.
— Et oncle Réginald ?
— Croyez-moi, répondit Simon
en plissant les yeux, si je pouvais l'aider j'agirais. Mais je ne peux rien
pour lui. Vous confierai-je ce que
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