Le calice des esprits
d'or, partagés par une raie médiane, qui retombaient sur ses
épaules, un visage animé et plutôt mince, l'air d'un elfe, un nez mutin, des
lèvres rouge vif, et des yeux magnifiques, bleus, étranges, bridés tels ceux
d'une Mauresque, hérités, ainsi que je l'appris plus tard, de sa mère, Jeanne
de Navarre. Elle me scruta en agitant ses pieds chaussés de patins à la semelle
rigide.
— Qui êtes-vous ?
s'enquit-elle en penchant la tête de côté et en me regardant de bas en haut.
Qui êtes-vous au juste ? Que faites-vous ici ?
— Madame, bégayai-je, madame,
je suis Mathilde de Clairebon. Je dois rejoindre votre maison en tant que demoiselle
de chambre *.
Elle sourit.
— Venez ici, Mathilde.
Je m'approchai. Elle lança soudain
sa jambe gauche et me donna un méchant coup dans le tibia. La douleur m'arracha
un cri et je levai le pied pour me frotter la cheville. Elle remarqua mon
courroux et mon poing serré. Les chevaliers qui étaient dans le coin s'émurent
de l'incident. Je les entendis élever la voix et perçus aussi le bruit d'une
épée tirée de son fourreau. Isabelle prit l'air sérieux.
— Ne faites rien,
murmura-t-elle. Agenouillez-vous. Elle indiqua d'un geste aux chevaliers de
reculer puis se pencha. Son léger parfum herbacé — eau de rose et
autre chose — me chatouilla les narines. Sa peau était saine et propre,
ses dents blanches, sans une tache ; le nez n'était pas si mutin que ça
mais plutôt pointu ; ses yeux étaient d'un bleu brillant, si clairs et
pourtant si frappants, et sa peau chatoyait comme si elle était saupoudrée
d'or. Elle leva la main pour repousser quelques mèches de son front, puis la
posa sur son cou.
— On prétend que j'ai un cou
de cygne, observa-t-elle à mi-voix. Un jour, je serai vraiment belle. Qu'en
pensez-vous, Mathilde ?
— Madame, répondis-je, vous
avez la beauté d'un joyau. Vous pourriez rivaliser avec n'importe quelle
peinture d'ange qu'il m'a été donné de voir.
Elle leva le pied et me l'enfonça
dans l'aine.
— Êtes-vous virgo intacta ?
La question, venant d'une personne
si jeune, m'interloqua tant que je ne pus que rester bouche bée.
— Qui êtes-vous en réalité,
Mathilde ? Vous êtes effrayée, n'est-ce pas ? Pourquoi avez-vous peur
de moi ? Personne n'a peur de moi. Pourtant — elle se retourna
avec vivacité, et l'on eût cru que quelqu'un était assis à côté d'elle, avant
de me regarder à nouveau —, Marie ne vous aime pas.
— Madame, questionnai-je, qui
est Marie ? Je ne vois personne.
— Bien sûr que non,
répondit-elle en riant, non d'un rire enfantin mais d'un rire de gorge profond
comme si ma réaction l'amusait vraiment. Vous ne pouvez pas voir Marie. Personne
ne le peut, sauf moi. Je la vois depuis des années. Elle m'accompagne toujours.
C'est ma dame d'honneur. Vous comprenez, elle est morte il y a quelques années
de la suette, du moins c'est ce qu'elle m'a dit. Maintenant elle revient et me
parle. Elle s'assied sur mon lit quand je recouds un morceau de tapisserie ou
que j'essaye de lire le livre d'heures que père m'a offert. Avez-vous rencontré
mon père ?
Je fis un geste de dénégation de
la tête. J'avais les genoux transis et je me rendis compte à quel point l'air
s'était refroidi. Les chevaliers ne nous prêtaient plus attention, avaient-ils
l'habitude de semblables scènes ? Je tournai un peu la tête pour voir ce
qu'ils faisaient et je reçus un soufflet brûlant sur la joue.
— Je suis la princesse de France,
déclara Isabelle en me souriant.
Elle m'effleura la joue.
— Je ne voulais pas vous
blesser. J'ai parlé de vous à Marie. Je crains bien qu'elle ne vous aime pas du
tout. Alors, Mathilde, que répondez-vous à ça ?
— Que je ne l'aime pas non
plus, madame.
— N'est-ce pas bien
étrange ?
Ce rire, à nouveau. Isabelle
m'examina avec curiosité.
— Je suis Isabelle de France,
fille unique du grand Philippe, bientôt l'épouse du roi d'Angleterre, la mère
de son héritier. Chaque fois que je mentionne Marie, on cherche à me faire
plaisir, Mathilde. Certains affirment même qu'ils la voient. Alors je leur
demande de la décrire et c'est moi qu'ils décrivent toujours. En fait, si elle
était visible, on saurait qu'elle a des cheveux noirs, noirs comme l'aile du
corbeau, et des yeux très foncés. Elle ressemble à une bohémienne, à une de ces
vagabondes. Quoi qu'il en soit, continua-t-elle, les mains dans son giron
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