Le calice des esprits
et
balançant les jambes à la façon de n'importe quelle fillette, j'ai demandé à
Marie pourquoi elle ne vous aimait pas. Elle refuse de répondre. Vous dites ne
pas l'apprécier, ce qui sera intéressant.
Elle se pencha un peu plus.
— Nous partons bientôt, le
savez-vous ? Je dois aller en Angleterre pour devenir reine de cette île enchantée,
m'asseoir sur le trône de Westminster, être couronnée et partager la couche
d'Édouard. Connaissez-vous Édouard, le jeune roi ?
Je fis signe que non.
— On le dit très beau,
reprit-elle. Il me ressemble un peu ; c'est un parent éloigné. Mon père m'a
expliqué comment nous étions alliés. On raconte que lui aussi a des cheveux
d'or et des yeux bleus, ainsi qu'une belle barbe et une superbe moustache. On
colporte d'autres choses encore : qu'il se plaît à creuser un fossé,
mettre un toit à une chaumière ou se promener en barge sur la rivière en
plaisantant avec ses valets, ses fermiers et autres serviteurs de piètre
condition. Il a un lion apprivoisé et un chameau dans sa grande forteresse, la
Tour de Londres. Voulez-vous en savoir davantage ?
Elle jeta un regard autour d'elle.
— J'ai abordé ce sujet avec
Marie : on dit qu'il est attiré par les hommes. J'ai entendu parler de
ça ; mon frère Louis m'a narré ce qu'ils font ensemble. Ils mettent leur
chose — appuya derechef l'épais patin contre mon aine — non
dans cet endroit de la femme, parce que les hommes n'en ont pas, mais ailleurs.
Se détournant un peu, elle se
tapota la croupe.
— Saisissez-vous ce qu'ils
veulent dire, Mathilde ?
C'était le cas, mais je fis un
signe de dénégation, ce qui me valut un autre soufflet, moins violent cette
fois, cependant.
— Vous ne mentez pas très
bien, Mathilde. Il vous faudra apprendre si vous entrez à mon service et vivez
dans ma maisnie. Comprenez-vous ce dont je parle ?
Elle se détourna en penchant un
peu la tête comme pour écouter son invisible compagne. Puis elle me jeta un
regard du coin de l'œil.
— Vous avouerai-je quelque
chose, Mathilde ? Marie a changé d'avis. Elle pense qu'elle vous aime
bien, et moi aussi.
Elle entonna à mi-voix un cantique
de goliard, un chant ordurier d'étudiant vagabond. Je me demandai qui pouvait
le lui avoir appris.
— Puis-je m'en remettre à
vous, Mathilde ?
— De votre vie ?
Elle fit la moue.
— Ne soyez pas stupide.
Puis-je vous faire confiance ?
— Bien sûr, madame. Je suis
votre servante.
— Bien sûr que oui, me
singea-t-elle, les yeux pétillants de gaieté. J'ai menti. En fait, ils ont peur
de moi ! Ils veulent que je m'en aille et moi je veux partir. Mathilde,
avez-vous entendu dire que mon père a peut-être empoisonné ma mère ? C'est
ce que content les ragots. Mon père a surpris une servante à le répéter ;
elle a été brûlée et son amant pendu dans le verger. Il les a accusés de
trahison, mais pourquoi avoir brûlé une jouvencelle et pendu un jouvenceau à
cause de rumeurs et de médisances ? En tout cas, ils seront heureux que je
m'en aille. Ils ont vraiment peur, vous savez.
— De quoi ? m'enquis-je.
— Ah, vous verrez. Virgo
intacta , murmura-t-elle, je suis censée l'être pour Édouard.
— Bien sûr que vous l'êtes, Votre
Grâce, m'empressai-je de commenter en ne souhaitant qu'une chose : me
relever.
— Vous pouvez vous asseoir
près de moi à présent. L'ordre fut si soudain que je me demandai si elle savait
précisément ce à quoi je pensais et qui j'étais en réalité. Je m'exécutai. Elle
se rapprocha et se serra contre moi. Je sentis sa chaleur et me rendis compte
qu'elle devait avoir une chaufferette de charbons ardents sous sa mante pour se
protéger du froid.
— En fait, Mathilde, personne
n'a envie de m'accompagner en Angleterre. C'est mon père qui a choisi les dames
de mon escorte et les servantes de ma maison. La plupart seront à sa solde et
lui feront sans faute des rapports. Je lui ai spécifié que je voulais des
chambrières fidèles, des femmes qui n'appartiennent pas à la Cour. Père, cela
va de soi, n'en fait qu'à sa tête, mais cette affaire a fini par l'ennuyer, ou
bien il a été trop occupé pour la régler. Oncle Charles a prétendu qu'il ferait
ce qu'il pourrait. Il vous a mentionnée. Au moins, vous apportez du changement !
Elle se détourna à nouveau pour
s'adresser à l'invisible Marie en bavardant dans une langue que je ne
comprenais pas. Puis elle me regarda.
— Vous
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