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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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voix
basse. Sir Hugh Pourte se montrait acerbe. Casales était plus fébrile : le
chevalier-courtisan agitait ses pieds bottés et jetait des coups d'œil autour
de lui ; ce qu'il entendait semblait lui être fort désagréable. Le roi
Philippe lui-même avait les joues un peu rouges et il finit par s'écarter et
faire signe à ses intendants ; des hérauts dans leurs resplendissants
tabars levèrent leur trompette et une sonnerie retentissante éclata : le
festin pouvait commencer.
    Le dîner de venaison, dont un
sanglier, rôtie et arrosée de son jus fut délicieux. Le souverain annonça,
depuis la place centrale qu'il occupait à la table du milieu, que la viande
fraîche venait tout droit de la forêt de Fontainebleau et qu'il avait abattu le
gibier lui-même. La passion de Philippe pour la chasse, qu'il s'agisse
d'animaux ou d'hommes, était notoire. Le plat principal fut suivi par un cockatrice [8] de chapon et de porc, puis par des abricots et des oranges de Valence. Le tout
était servi sur des tables couvertes de nappes de samit d'un blanc
resplendissant, agrémentées de plats, de pichets, de coupes et de gobelets
d'argent et d'or sertis de gemmes et frappés aux armes royales. Philippe
trônait, semblable à un lion d'argent conscient de son pouvoir ; il était
flanqué des émissaires anglais. Moi, je me trouvais au bas bout de l'une des
tables latérales, Isabelle à ma gauche. Elle avait joué son rôle, passant entre
les hommes comme une nonne disciplinée, son joli visage encadré par le voile
chatoyant posé sur cette merveilleuse chevelure d'or. Elle resta impassible en
s'asseyant, puis son regard changea et j'y distinguai un éclair de malice. Elle
se pencha comme pour déplacer une coupe.
    — Mathilde, souffla-t-elle,
cela va être fort divertissant.
    Pendant la première partie du
banquet, les musiciens du roi, installés dans la galerie proche pavoisée de
bannières et de blasons aux armes des Capétiens, jouèrent des airs doux. Un
jeune choriste interpréta un chant à donner le frisson : « Je me suis
enfui dans la forêt et j'ai aimé ses endroits secrets. » Les pichets de
vin circulaient, le bruit des conversations s'amplifiait et Philippe, en habile
homme de loi, menait ses hôtes vers les sujets qu'il désirait en fait aborder.
Il fit un geste de la main à l'intention du sergent qui commandait les hérauts
derrière les tentures ; trois sonneries de clairon retentirent, signifiant
aux valets, aux intendants, et même aux musiciens dans la galerie et aux gardes
sur le seuil, de se retirer. Je regardais se dérouler cette scène royale.
Philippe était imperturbable comme une statue, cheveux d'argent sur les
épaules, yeux bleus plissés en un simulacre de sourire, visage rasé avec soin
luisant comme de l'albâtre. À sa table, un peu plus loin, étaient installés ses
féaux : Marigny, mince, roux, figure anguleuse aux lourdes paupières, nez
long et pointu ; Nogaret le légiste, boule de graisse à l'éternel sourire,
cheveux blonds et ras, l'air cynique, l'œil méprisant ; Guillaume de
Plaisians, l'alter ego de Nogaret, un juriste à l'affreux visage de mastiff, la
mâchoire saillante, lippu, yeux aux aguets. Ces hommes avaient occis mon oncle
mais je n'étais pas prête, je n'avais pas les moyens de me venger. J'avais vu
assez de morts pour la journée : Face de Rat effondré contre le mur, Vitry
et sa maisonnée baignant dans leur sang. Je me demandais si j'étais devenue
pierre, pétrifiée comme un enfant survivant à un massacre qui ne peut
comprendre ce qui s'est passé. En y repensant, je sais qu'il s'agissait d'autre
chose. J'ai pris part à des batailles, à des mêlées sanglantes. J'ai aussi
parlé à des soldats. Je conçois ce qu'ils veulent dire quand ils disent que
« le sang se glace » : c'est une mystérieuse détermination à
rester calme, la certitude que le trépas d'un ennemi ne signifie pas qu'on
échappera aux autres. Dans cette Chambre blanche, il y a si longtemps, si
longtemps, que Dieu me protège, j'étais dans cet état. Mon heure n'était pas
encore venue. J'étais toujours en marge de la foule et je regardais les
événements évoluer lentement vers leur point culminant.
    Pendant qu'on évacuait la pièce,
le roi, assis, la tête dans les mains, jetait de temps à autre des coups d'œil
à droite et à gauche aux envoyés anglais. Pourte était affalé dans sa chaire et
le vin ne semblait pas avoir adouci sa mauvaise humeur. Casales

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