Le calice des esprits
émissaires anglais dans la Chambre blanche du
palais et que la princesse devait être présente. Isabelle se réveilla reposée.
Je lui fis part de la convocation royale et son humeur changea soudain. Elle se
mit à babiller sur les atours qu'elle porterait et passa le reste de
l'après-midi à se préparer. On ordonna aux servantes et valets d'apporter des
cruches et des cuveaux d'eau chaude. Isabelle se dévêtit et fit ses ablutions.
Elle se parfuma, s'oignit le corps, et me permit de l'habiller de lingerie de
lin, de chausses pourpres et d'un beau bliaud argenté, haut de col. Elle posa
sur sa tête un voile délicat fixé par un galon d'or et piqué de pierreries.
Elle ouvrit sa cassette à bijoux et se para d'anneaux, de bracelets d'argent,
d'un exquis pectoral serti de rubis et de saphirs. Elle fît des mines devant la
plaque de métal poli qui servait de miroir en me regardant du coin de l'œil et
en riant.
— À vous maintenant,
Mathilde.
Isabelle était généreuse. Elle me
fit me laver et m'aida à m'oindre, à me parfumer et à choisir les habits que je
porterais, sans faire allusion au malaise qu'elle avait éprouvé avant de
s'endormir. Un page fut dépêché auprès de son père pour le prévenir que Mathilde,
la dame de chambre * d'Isabelle, l'accompagnerait au banquet. Quand les
cloches de la Sainte-Chapelle sonnèrent les vêpres, nous gagnâmes la Chambre
blanche, petite pièce étincelante aux murs d'un blanc pur recouverts de
tentures et aux fenêtres garnies d'un verre épais frappé des devises et des
armoiries des Capets, la maison royale de France. Le parquet ciré reflétait la
lumière des torches et celle d'une myriade de chandelles plantées sur une roue
qu'on avait abaissée pour que l'éclairage soit plus intense. Un feu vif dansait
dans l'âtre profond. On avait divisé la pièce au moyen de larges écrans ornés
de somptueuses tapisseries bleues, rouges et or qui dépeignaient les chevaliers
du Cygne et leurs assauts contre le Château d'Amour. D'autres tentures présentaient
de magnifiques médaillons aux couleurs vives évoquant les Six Travaux de
l'année.
Le souverain, ses conseillers et
ses trois fils se tenaient devant l'immense cheminée ; sur chacun de ses piliers
un personnage de bois, sculpté avec soin, contemplait l'espace derrière les
écrans comme si les richesses déployées sur les trois tables l'indignaient.
Isabelle s'avança pour être reçue. On m'ignora. Le roi et son entourage firent
cercle autour de la jeune princesse. Ils étaient tous superbes dans leurs
atours de velours bleu et blanc, broches, bagues et chaînes scintillant dans la
lumière. Je restai dans un coin. Le prince Philippe avait l'air furieux, il
bougeait sans arrêt les lèvres et n'écoutait qu'à moitié Charles abruti par le
vin. Ne désirant point croiser leur regard, j'examinai les trois étrangers. Le
plus proche arborait la tunique noire d'un clerc royal ; sous sa chevelure
aile-de-corbeau, attachée dans la nuque, il avait un visage à la peau lisse et
mate. Il était clair que les deux autres, des Anglais, éprouvaient quelque
difficulté à suivre la rapide conversation tenue dans le français de la Cour.
On voyait mal l'un d'entre eux ; l'autre, Sir Hugh Pourte, un des plus
puissants négociants de Londres, était un grand échalas à la mine et au regard
revêches. Son compagnon entra dans le cercle de lumière et je me figeai.
C'était Sir John Casales, un bel homme vigoureux, l'air d'un soldat-né, dur et
maigre, l'œil aux aguets, la bouche ferme, les cheveux grisonnants coupés
court. Il était habillé avec simplicité mais avec élégance d'une cotte-hardie
vert foncé sur un justaucorps de velours noir et d'un haut-de-chausses de la
même couleur. Ses bottes de cavalier, dont le souple cuir d'Espagne luisait à
la lueur du feu, laissaient deviner l'homme de guerre.
Immobile, j'observais et me
souvenais. Les Écossais avaient tranché la main droite de Sir John Casales à la
bataille de Falkirk. Il avait rendu visite à mon oncle, mais c'était bien des
années auparavant. Je priai en silence la Vierge Marie qu'il ne me reconnaisse
pas. Le regard de Casales, perçant comme celui d'un renard, glissa vers moi
puis se détourna. Nous nous étions rencontrés voilà bien longtemps et je
restais alors dans l'ombre de mon oncle. Je me consolai en pensant que pour un
homme comme Casales, je n'étais rien de plus qu'une quelconque servante.
Autour du feu on parlait à
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