Le calice des esprits

était une beauté diaphane, moralisatrice et
condescendante, imbue de sa propre bonté et de sa dévotion. Une femme qui avait
trouvé la religion et perdu son cœur, complètement plongée dans sa béate
passion pour le pèlerinage. Elle dressa la liste des divers endroits où
Isabelle devait se rendre en tant que reine, par exemple St Swithun à
Worcester, Glastonbury pour les reliques ou la maison de la Vierge à
Walsingham. Elle parla d'elle-même comme une harengère jusqu'à ce qu'Isabelle,
étouffant un bâillement, remerciât sa « chère tante ». Mais la reine
douairière ne se contentait pas de si peu. Isabelle dut se forcer à sourire
quand Marguerite, perchée sur un coussiège donnant sur le cloître, entreprit de
narrer son récent pèlerinage pour voir l'ampoule du Précieux Sang du Christ à
l'abbaye de Hailes. Puis nous fîmes la connaissance de Margaret de Clare, nièce
du roi et épouse de Gaveston, jeune femme plutôt inquiète au teint pâle qui ne
cessait de rajuster la guimpe démodée qui lui encadrait le visage. Assise telle
une pieuse novice, mains dans son giron, elle prêtait une oreille attentive aux
sermons monotones de la reine douairière sur les différents lieux saints. Elle
acquiesçait parfois d'un hochement de menton et enfonçait son aiguille dans sa
tapisserie.
    Quand Isabelle et moi nous
retrouvâmes seules dans nos chambres, la princesse s'installa sur le plancher,
s'adossa à la porte, et se mit à rire jusqu'à ce que les larmes ruissellent sur
ses joues. Elle arracha son couvre-chef qu'elle fourra presque dans sa bouche
pour maîtriser son fou rire. Elle finit par se ressaisir, prit une touaille,
s'en enveloppa le crâne et, avec le plus de componction possible, les yeux au
ciel, imita les deux femmes, y compris l'incessante homélie nasillarde de tante
Marguerite.
    — Oh, Mathilde, vous devez
visiter Chepstow et son prieuré, vous savez bien, celui qui est dédié à la
paille dans la crèche. Il contient une bouse du bœuf, celui-là même qui était
présent lors de la première nuit de Noël, et plus bas, au couvent de l'Agneau
béni, vous pourrez vénérer le prépuce du jeune pastoureau qui portait
l'agnelet. Ils ont aussi une patte de cet animal...
    Isabelle leva les yeux au ciel.
    — ... avec encore quelques
lambeaux de viande parce que la Sainte Famille a mangé le reste.
    Elle éclata de rire, se releva et,
avec solennité, se mit à faire les cent pas dans la vaste pièce en énumérant
les reliques les plus extravagantes que tante Marguerite pourrait
rassembler : le premier lange du Christ enfant, un copeau de l'établi de
Joseph, une plume d'ange, un dé à coudre brisé appartenant à la Vierge Marie.
Elle s'interrompit enfin et jeta la touaille par terre.
    — Dévote bagasse !
grommela-t-elle. Si sainte qu'elle devrait être morte ! Oh ! ne soyez
pas scandalisée, Mathilde !
    Elle montra la porte du poing.
    — Tante Marguerite la pieuse
espionne pour son frère. Si on la laisse agir à son gré, mon père saura tout
avant même que cela arrive.
    Elle insista, le doigt levé.
    — Je ne dois point l'oublier.
    Elle remplit à ras bord deux pots
en étain de la bière que les frères nous avaient apportée et s'installa sur un
tabouret capitonné en me regardant avec attention.
    — Eh bien, Mathilde, que
croyez-vous que nous soyons ? Deux moineaux tombés de la fenêtre sur le
chemin d'un chat ?
    — Madame, Votre Grâce,
aimez-vous mon seigneur *, votre époux ?
    Isabelle fit la moue et haussa les
épaules.
    — Répondez à ma question,
Mathilde.
    — Oui, dis-je sans détour,
nous sommes deux moineaux tombés sur le chemin d'un chat. Édouard d'Angleterre
et son favori n'ont rien d'enfants de chœur ; nous devons avancer avec
lenteur et grande prudence. Ils ont montré leur vraie nature.
    — C'est-à-dire ?
    — Ils ne toléreront nulle
opposition. Obéissez-leur et tout ira bien. Rebellez-vous ou résistez aux
volontés du roi et tout peut arriver, ce qui, madame, pourrait inclure le
meurtre de Sir Hugh Pourte et celui de Lord Wenlock, précisai-je en prenant
place sur un banc.
    J'avais examiné cette hypothèse
pendant notre voyage depuis Douvres. Il y avait le Conseil d'Angleterre et un
cercle restreint plus intime, le Secretum Concilium , le Conseil secret,
composé de personnes comme Casales, Sandewic et Baquelle ainsi que des deux
hommes occis récemment. Les avis avancés par ces derniers avaient déplu à
Édouard et à