Le calice des esprits
Gaveston. Je fis part de mes conclusions à ma maîtresse et ajoutai
que les membres du Conseil secret pouvaient être en danger et supprimés l'un
après l'autre.
— Par qui ? interrogea
Isabelle.
— Je ne peux vous répondre
là-dessus, Votre Grâce.
CHAPITRE IX
Il n'y a plus ni ami ni parent.
Chanson des temps anciens, 1272-1307
Nous restâmes quelque temps au
prieuré St Augustine en attendant d'accueillir les Français : les deux
frères de Philippe, les comtes de Valois et d'Évreux, Marigny, Nogaret,
Plaisians et les trois fils du roi. Deux jours après notre arrivée, ils
entrèrent dans la cour du prieuré en grand arroi, sous leurs bannières bleu et
or, et furent reçus par Édouard et Gaveston.
S'ensuivirent les habituels
banquets et festivités, soit au prieuré, soit dans les bâtiments épiscopaux.
Isabelle fut à nouveau entourée des dames de la Cour tandis que je fus écartée.
La princesse était sans nul doute à la merci de Marigny, « ce Goupil aux
yeux verts », surnom qu'elle donnait à ce conseiller, qui, le lendemain de
sa venue, me jeta un regard torve alors que toute la compagnie sortait avec
cérémonie de l'église après la messe. J'étais soulagée d'être tenue à l'écart
de toutes leurs méchantes intrigues tant que ma maîtresse me narrait avec
vivacité les détails des événements : par exemple, qu'Édouard accordait
davantage d'attention, en public, à Gaveston qu'à sa « femme
bien-aimée » et que le favori royal arborait sans vergogne quelques-uns
des bijoux que Philippe avait offerts à Isabelle. Bien entendu, les Français
protestaient et les relations entre les deux Cours ne cessaient de se tendre.
J'étais heureuse d'être loin du
tohu-bohu des rencontres, des festins et des pourparlers. Casales, Sandewic,
Rossaleti et Baquelle, quand ils le pouvaient, me retrouvaient dans le grand
parloir de l'hôtellerie ou m'accompagnaient dans l'herbarium du prieuré :
je commentais alors les noms et propriétés des diverses plantes. Sandewic,
surtout, se montrait intéressé. Il chantait toujours les louanges des remèdes
que je lui avais donnés. Lui et ses amis n'avaient d'autre choix que de
m'écouter quand je m'attardais sur les différents jardins que possédait le
prieuré : celui du cloître où herbes et fleurs poussaient autour du saint
bénitier central ; le verger du cimetière ; le potager et, enfin, le
jardin médicinal, au nord du bâtiment. Ce dernier s'enorgueillissait de seize
plates-bandes, bien bêchées et entretenues, séparées par des allées sablées,
les carrés de simples situés de telle façon qu'ils profitaient du soleil.
L'endroit était agréable, même en hiver. Le parfum des plantes embaumait l'air
malgré les petits châssis que le médecin, frère Ambrose, y avait installés pour
les protéger des éléments. Ce vieux bénédictin, responsable à la fois du jardin
médicinal et de l'infirmerie, était vraiment un homme amoureux de la création
de Dieu. Il nous rejoignait toujours en portant sous le bras une copie en
lambeaux du De materia medica de Dioscoride ; rien d'étonnant si
mes compagnons, après avoir subi pendant une heure la conférence de l'infirmier
sur les vertus du chrysanthemum parthenium, s'esquivaient sans demander leur
reste.
Oh ! comme j'aimais ce jardin
gracieux et serein, ce havre loin des ferments de haine et d'intrigue qui se
répandaient dans le prieuré comme une brume méphitique et qui, bien entendu,
finirent par me rattraper ! Un après-midi, je sortais de l'herbarium quand
j'aperçus un moine debout dans l'ombre du petit cloître, à demi dissimulé
derrière un pilier. J'avais exploré les carrés d'herbes et ne pouvais en croire
mes yeux : j'avais découvert de l'armoise dans l'une des plates-bandes. Je
me hâtais pour en parler à frère Ambrose. Je sortis vite, et je pris mon
guetteur au débotté. Il s'éloigna prestement, mais trébucha sur un pavé
saillant, se cogna contre le mur et se retourna, apeuré. J'avançais à grands
pas. Je vis son visage et m'arrêtai, pétrifiée de surprise. J'étais certaine
que c'était l'homme que j'avais entraperçu à L' Oriflamme , ce qui, à
présent, semblait avoir eu lieu des siècles plus tôt. Je n'oublierai jamais
cette figure, ces yeux, mais, à coup sûr, me dis-je, c'était impossible. À
Paris, il était vêtu en clerc anglais, pas en moine bénédictin. Était-il
vraiment ici, en Angleterre ? J'étais si
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