Le Cercle du Phénix
sa tenue. Elle tourna lentement
devant le miroir, admirant la splendide image qu’elle renvoyait au monde.
Angelia avait la réputation d’être la plus belle femme de Londres, et certes,
tandis qu’elle se contemplait dans le miroir à pied, elle songeait avec
délectation que ce titre était loin d’être usurpé. La beauté constituait une
intense satisfaction en soi, et seuls les gens ayant reçu la laideur en cadeau
à leur naissance prétendaient le contraire.
Naturellement, il lui faudrait penser à des choses plus
sérieuses dès que le bal serait terminé.
À la trahison de Charles Wemer par exemple.
Mais pour le moment, seule la réception comptait.
Un frisson d’excitation la parcourut. Ce soir, elle
devait être parfaite. Elle n’avait pas droit à l’erreur.
Elle serait là.
Angelia cessa soudain de sourire à son reflet. Son
visage devint grave. Enfin, elle allait savoir… Ses espoirs seraient-ils
comblés ? Une nouvelle déception serait par trop cruelle.
Après un dernier coup d’œil satisfait au miroir, Angelia
fit volte-face et sortit de sa chambre. Riches de promesses, les réjouissances
n’allaient pas tarder à commencer.
*
Lorsque Cassandra et Julian arrivèrent à la résidence
que possédait Lady Killinton à Grosvenor Square, au cœur du quartier huppé de
Mayfair et non loin du prestigieux hôtel Claridge’s, le bal avait déjà débuté.
Du fait de son appartenance à la noblesse titrée, Lord Ashcroft avait ses
entrées partout à Londres. Il ne lui avait donc guère été difficile de se faire
inviter avec Cassandra à la fête mentionnée par Werner. Même s’il ne
connaissait pas les détails de l’affaire, il avait accepté de bonne grâce de
rendre ce service à son amie. Gabriel n’avait paru que moyennement apprécier
l’idée, mais c’était la solution la plus simple et le temps manquait pour
ménager sa susceptibilité.
Entourée de grilles protectrices et d’élégants jardins,
la somptueuse résidence de Lady Angelia Killinton se caractérisait par son
style néogothique ostentatoire, conforme au goût d’une époque en révolte contre
le classicisme de l’architecture géorgienne. La façade était abondamment égayée
de stucs, les baies ornées de colonnades de fer, les portes surmontées de
moulages, les pierres sculptées au fronton des fenêtres, les embrasures
travaillées. La maison était en outre d’une taille imposante, puisqu’elle
comprenait dix fenêtres dans sa largeur et cinq étages de haut, sans compter le
sous-sol. Tout comme Cassandra, cette femme n’aimait pas les petits espaces.
En gravissant l’escalier qui menait aux portes de
l’entrée, Cassandra se remémora son incrédulité lorsque Werner lui avait révélé
l’identité du chef du Cercle du Phénix. Une jeune aristocrate, Lady Angelia
Killinton. L’idée paraissait tellement aberrante qu’elle s’était demandé s’il
ne se moquait pas d’elle. Mais la peur qui déformait son visage et, sa voix
chaque fois qu’il évoquait cette femme était bien réelle. La terreur que Lady
Killinton lui inspirait n’était pas feinte, Cassandra en aurait mis sa main à
couper. Elle n’avait donc d’autre choix que de le croire sur parole.
Par acquit de conscience, elle avait néanmoins interrogé
Gabriel au sujet du fameux carnet. À l’issue de son entretien avec Charles
Werner, elle l’avait retrouvé dehors, près de la grille. Le jeune homme avait
préféré attendre dans le froid plutôt qu’à l’intérieur de la maison, comme si
celle-ci lui brûlait les pieds. Lorsque Cassandra avait évoqué le carnet, il
s’était littéralement décomposé sous ses yeux. Comprenant aussitôt qu’elle
n’obtiendrait rien de lui et de nouveau submergée par une absurde pitié, elle
n’avait pas insisté davantage, mais la curiosité l’avait tenaillée de plus
belle.
En revanche, Julian s’était montré plus disert. Ayant eu
l’occasion de rencontrer Lady Killinton deux ans auparavant au cours de l’un
des rares dîners mondains auxquels il assistait encore, il l’avait décrite
comme une femme d’une grande beauté, tout à fait consciente de son pouvoir de
séduction, et qui faisait beaucoup d’efforts pour paraître plus sotte qu’elle
ne l’était en réalité.
Parvenus en haut de l’escalier de la résidence
Killinton, un spectacle coloré et joyeux s’offrit aux yeux de Julian et
Cassandra. Au plafond, les lustres sertis d’innombrables
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