Le Cercle du Phénix
Triangles
avaient émergé des profondeurs obscures dans lesquelles ils sommeillaient. Les
acteurs de la pièce étaient réunis, le décor en place. La prophétie pouvait
maintenant s’accomplir.
Curieusement, elle qui ne connaissait pas la peur
ressentait aujourd’hui une légère appréhension. Était-ce la crainte d’échouer
si près du but ?
La brosse joua avec plus d’ardeur dans sa chevelure
cendrée.
Non, elle attendait cet instant depuis trop longtemps
pour laisser passer sa chance. Elle était condamnée à réussir, car elle ne
connaîtrait pas de repos tant que son souhait ne serait pas exaucé.
Dolem reposa la brosse sur la coiffeuse et se leva.
Dans le miroir, son reflet lui souriait.
Chapitre II
Allongée dans son lit, les yeux grands ouverts,
Cassandra savourait l’enivrante sensation de délivrance dans laquelle elle
baignait depuis plusieurs jours. Toute sa vie, elle s’était sentie captive
d’une forteresse invisible, mais lorsqu’elle avait recouvré la mémoire, les
murs de sa prison s’étaient effondrés par la même occasion. À présent, elle
était libre.
Certes, la peur que lui inspiraient Angelia et ses
crimes était toujours vivace, et ses souvenirs demeuraient parcellaires. Elle
ne se rappelait pratiquement de rien en vérité, si ce n’était de la tentative
d’assassinat de sa sœur ; le reste de son passé restait plongé dans le
flou. Toutefois, le boulet le plus lourd qu’elle traînait avait fondu quand le
voile masquant la vérité s’était déchiré. Elle avait vécu dans la terreur
d’elle-même, minée par la certitude d’être une étrangère à ses propres yeux. La
résurgence de ses souvenirs l’avait délivrée d’un poids immense. Elle n’était
pas une meurtrière.
Cassandra se leva, enfila un peignoir et sortit sur le
balcon, légère comme un oiseau. Au loin, les cimes des arbres oscillaient sous
la brise dans un ciel d’une pureté éblouissante. La jeune femme demeura
longtemps à les contempler, savourant la fraîcheur de l’air matinal sur son
visage.
Elle renaissait, tout simplement.
*
Juste avant le dîner, Jeremy, aussi débraillé qu’à
l’ordinaire, se précipita avec son enthousiasme coutumier vers Cassandra qui
traversait le hall.
— Miss
Jamiston, savez-vous où se trouve l’Histoire de l’alchimie ? Le livre n’est plus dans la bibliothèque.
Cassandra hocha la tête.
— Il
est dans ma chambre. Montez avec moi, proposa-t-elle. Je vais vous le donner
tout de suite.
L’ Histoire
de l’alchimie fut cependant très
vite oubliée. Cassandra poussa le battant de sa chambre et se figea aussitôt.
Derrière elle, Jeremy s’immobilisa à son tour et poussa un juron.
Gabriel était là, debout dans le fond de la pièce. Ses
mains plongées dans le tiroir d’une commode en bois de rose ne laissaient
planer aucun doute sur la nature de l’activité à laquelle il s’adonnait avant
d’être interrompu par leur entrée. Il se redressa, très pâle, et une lueur de défi
traversa ses prunelles.
— Que…
que faites-vous là ? balbutia Cassandra, abasourdie, lorsqu’elle eut
retrouvé l’usage de la parole.
Drapé dans une froide impassibilité, le jeune homme
demeura comme à son habitude silencieux. Jeremy, dont les poings s’étaient
crispés sous l’effet de la colère, bondit au milieu de la chambre.
— Cela
paraît évident, cracha-t-il en jetant des regards assassins à Gabriel. Nous
l’avons pris la main dans le sac alors qu’il cherchait le
Triangle de l’Eau ! J’avais raison depuis le début, c’est un espion à la
solde du Cercle du Phénix !
— N’émettons
pas de jugements prématurés, objecta Cassandra avec prudence. Peut-être a-t-il
une très bonne raison de se trouver ici.
— Vraiment ?
railla le journaliste. J’aimerais bien la connaître dans ce cas !
Consternée, la jeune femme ne souffla mot : elle
n’avait que trop conscience du peu de crédibilité de sa suggestion.
— Vous
êtes complètement bornée ! poursuivit Jeremy d’un ton rageur. Quelle
preuve supplémentaire vous faut-il pour être convaincue ? Et pourquoi
refusez-vous de voir la réalité en face ?
« Parce que c’est trop dur », songea
Cassandra. Parce que la cruelle perspective d’annoncer à Julian la trahison de
Gabriel lui fendait le cœur.
Jeremy avait les yeux braqués sur elle.
— Il
faut réunir tout le monde et prendre les décisions qui s’imposent,
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