Le Cercle du Phénix
réduite en cendres pour autant.
— Les
dragons sont si fascinants, murmura-t-elle. Ils symbolisent avant tout le feu,
mais unissent également en un seul corps les attributs des animaux terrestres,
aériens et aquatiques, c’est-à-dire les pattes, les ailes et les nageoires. Le
dragon est la créature parfaite, synthèse des quatre éléments…
Créature parfaite ? Werner était loin de partager
cet avis, mais il garda sagement son opinion pour lui.
Angelia fit quelques pas le long du mur, puis s’arrêta
de nouveau brusquement.
— Ici,
dit-elle en pointant la fresque du doigt.
Werner fit un effort pour paraître intéressé et s’approcha de
la partie du mur désignée par Angelia.
— Une
roue, commenta-t-il d’un air désabusé, et en son centre une sorte de lézard à
la robe d’un noir brillant marbré de jaune. Qu’est-ce que cela signifie ?
— La
roue est le hiéroglyphe alchimique du temps nécessaire à la cuisson de la
Matière philosophale, et par suite de la cuisson elle-même, répondit doctement
Angelia. Le feu, qui est l’élément essentiel présidant à l’ensemble des
opérations alchimiques, doit être soutenu, constant, et entretenu jour et
nuit ; il assure la rotation régulière des éléments au cours de l’Œuvre et
est appelé pour cette raison « feu de roue ».
Werner étouffa un bâillement. Par chance, Angelia, trop
occupée à détailler la fresque, ne lui prêtait pas attention.
— Le
feu vulgaire n’est cependant pas suffisant pour réussir le Grand Œuvre,
poursuivait-elle. Un second agent est nécessaire, je veux parler du « feu
secret », dit aussi « feu philosophique ». C’est ce feu, excité
par la chaleur vulgaire, qui fait tourner la roue et provoque les divers
phénomènes que l’alchimiste observe dans son vaisseau.
— Le
feu secret ? répéta machinalement Werner.
— Un
agent occulte, parfois baptisé feu aqueux ou eau ignée, qui constitue
l’étincelle vitale communiquée par le Créateur à la matière inerte. Il descend
du Ciel sur l’athanor et concrétise l’assistance de la grâce divine. Il ne faut
pas oublier en effet qu’il est impossible d’obtenir la pierre philosophale sans
l’aide de Dieu…
« Si c’est la vérité, songea Werner, elle ferait
mieux d’abandonner tout de suite. » Il lui semblait très douteux que Dieu
choisisse une créature aussi pervertie et sournoise qu’Angelia Killinton pour
lui confier la pierre philosophale, à moins bien sûr d’avoir complètement perdu
la tête.
— Ce
lézard, comme vous le nommez stupidement dans votre ignorance, est en réalité
une salamandre, ajouta la jeune femme sur un ton de mépris. Or la salamandre
est le hiéroglyphe du feu secret des sages, et je suis persuadée qu’elle est là
pour nous indiquer la voie à suivre…
Joignant le geste à la parole, elle pressa fortement des
deux mains le motif de la salamandre. Quelques secondes s’écoulèrent, puis un
pan du mur bascula dans un grondement, révélant un étroit couloir envahi par
une mer de flammes. Werner recula vivement d’un pas, tandis qu’Angelia
s’avançait pour mieux voir.
Tout au fond du couloir, à une quinzaine de mètres
environ, se distinguait une estrade de pierre surmontée d’une grande croix d’un
jaune étincelant.
— De
l’or, murmura Angelia.
Werner, qui s’était détourné, fit soudain volte-face.
— De
l’or ? répéta-t-il, les yeux brillants de convoitise.
— Le
véritable alchimiste ne s’intéresse pas à l’or et à la richesse ! le
rabroua sa patronne. Il considère l’argent non pas comme un but mais comme un
moyen. La cupidité et la possession de la pierre philosophale sont
incompatibles !
Elle observa de nouveau le corridor en proie au feu et
déclara d’un air pensif :
— Le
Triangle doit se trouver là-bas, sur l’estrade.
— Vraiment ?
ironisa Werner. Et comment comptez-vous l’atteindre ? Vous serez
carbonisée avant d’avoir fait deux pas.
Il se tut subitement, le corps couvert d’une sueur
glacée. Et si Angelia lui donnait l’ordre d’aller chercher le Triangle ?
Que ferait-il ? Cette folle était bien capable de l’envoyer à la mort sans
état d’âme.
— Peut-être
existe-t-il un mécanisme permettant de faire disparaître les flammes ?
suggéra-t-il avec espoir.
Angelia ne répondit pas. Elle s’enfonça dans un silence
méditatif que Werner n’osa troubler, faisant
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