Le Cercle du Phénix
puisqu’elle trébucha sur un
repli du tapis et manqua s’étaler de tout son long sur le sol de la
bibliothèque. Au prix d’un héroïque effort de dignité, Megan parvint à garder
une certaine contenance malgré le ridicule de la situation. D’un geste furieux,
elle ramassa ses jupes et sortit prestement sans un regard en arrière, suivie
des yeux par un Jeremy hilare qui se tenait les côtes de rire.
*
— Docteur
Ward, s’il vous plaît…
Andrew s’arrêta net au milieu de l’escalier en entendant
la voix de Julian. Gêné par les récentes révélations concernant les mœurs du
lord, il mit à se retourner plus de temps qu’il n’était nécessaire.
— Lord
Ashcroft, dit-il d’un ton enjoué qu’il espéra naturel, que puis-je pour
vous ?
Si Julian remarqua son trouble, il n’en laissa rien
paraître.
— Je
souhaiterais, si cela ne vous ennuie pas, que vous examiniez Gabriel.
Une expression perplexe se peignit sur le visage
d’Andrew.
— Pardonnez-moi,
Lord Ashcroft, mais… qui est Gabriel ?
— Oh…
Julian eut l’air déstabilisé à son tour.
— Gabriel
est l’homme de main du Cercle du Phénix. Je… C’est moi qui lui ai donné ce
prénom. Vous comprenez, il n’en avait pas…
Andrew sourit, rassurant.
— Je
vois.
Il ne voyait rien du tout en réalité, mais il ne voulait
pas embarrasser davantage Lord Ashcroft.
— Vous
savez que Gabriel a été blessé d’une balle à l’épaule par Cassandra, reprit
Julian. Je voudrais être sûr que la cicatrisation se déroule bien. Et par la
même occasion, peut-être pourrez-vous découvrir la cause de son mutisme.
Andrew hésita.
— Ce
serait avec plaisir, mais il a refusé que je l’examine jusqu’à présent et il
est plutôt obstiné.
— Je
pense pouvoir le convaincre de se montrer coopératif, l’assura Julian.
— Dans
ce cas, allons-y tout de suite.
Il apparut très vite que Julian s’était montré
légèrement optimiste. Examiner Gabriel ne fut pas une mince affaire, loin de
là. Les sourcils froncés et le regard soupçonneux, celui-ci refusait absolument
de se laisser approcher, et encore moins toucher, par Andrew. Julian dut
déployer des trésors de persuasion pour vaincre sa méfiance. Ce ne fut qu’au
bout d’une demi-heure d’efforts que Gabriel céda enfin.
À l’issue de son examen, Andrew rassura les deux
hommes : la blessure de Gabriel guérissait sans anicroche. Julian le
remercia, l’air soulagé, et ils quittèrent ensemble la tour. Dans l’escalier,
Andrew compléta son diagnostic.
— Selon
moi, son mutisme n’est pas dû à une incapacité physique, mais plutôt à un
trouble d’ordre psychique ou émotionnel engendré par un choc important.
— C’est
aussi mon avis, opina Julian d’un ton pensif. J’ai l’impression… qu’il a
lui-même choisi de sceller sa voix… Mais pour quelle raison aurait-il pris une
décision aussi effroyable ?
— Je
l’ignore. La réponse se trouve dans son passé…
Julian acquiesça d’un air lugubre. Andrew lui jeta un regard en
biais, hésita, puis s’enquit d’une voix grave :
— Lord
Ashcroft, avez-vous remarqué ses cicatrices ?
Julian se figea et son visage s’assombrit encore davantage.
— Les
marques sur ses poignets ? Oui, je les ai vues. Pensez-vous…
Il s’interrompit, incapable d’achever sa phrase.
Andrew hocha la tête.
— Probablement
une tentative de suicide, en effet, dit-il avec douceur. Mais au vu des
cicatrices, elle doit remonter à plusieurs années déjà.
— Il
est si jeune pourtant…, murmura Julian, bouleversé. Dieu sait quelles souffrances
il a dû endurer pour en arriver à cette extrémité…
— Ne
vous tracassez pas, il va bien aujourd’hui, le réconforta Andrew, guère
convaincu par ses propres paroles.
— Je
l’espère… Je l’espère sincèrement. Merci pour votre aide en tout cas, docteur Ward.
Je vais retourner le voir à présent.
Sur ces mots, Julian fit volte-face, regagna la pièce où
Gabriel, assis près de la fenêtre, l’attendait et s’agenouilla devant lui.
— Pourquoi
ne parles-tu pas, Gabriel ? interrogea-t-il avec une tendresse à fendre le
cœur.
Le jeune homme secoua la tête en signe d’impuissance et
le fixa tristement. Julian regretta aussitôt sa question. Il ne voulait pas le
brusquer.
— Cela
n’a pas d’importance. Tu parleras quand tu le décideras.
Légère comme une caresse, sa
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