Le Chant des sorcières tome 1
pas, mais elle se convainquit que, s'il n'avait pas fait attention à elle, elle risquait de se faire prendre à bouger. À la crainte du danger s'ajoutait l'excitation de son indiscrétion. Elle mordit sa lèvre, retint son souffle et suspendit son geste. L'écran de bois que lui offrait le battant de la porte émoussait les voix, et elle devait être vigilante pour ne rien rater.
— Un ennui, mon aimé ? demanda Sidonie en posant une main délicate sur le poignet du baron.
Ce dernier consentit enfin à lever les yeux sur elle. La tristesse qu'elle vit dans son regard gris lui poignarda le cœur.
— Il s'agit de Philippine, révéla-t-il.
Sidonie blêmit à son tour tandis qu'il lui tendait la lettre. Il ne lui laissa pourtant pas le temps de la parcourir et enchaîna :
— Deux hommes se sont battus en duel pour elle devant l'abbaye. Ils sont entre vie et mort. La grande abbesse prétend que c'est Philippine qui les a incités à cette échauffourée par des pratiques indignes des bonnes mœurs, lâcha-t-il d'une voix morte.
Le rouge de l'indignation monta aux joues de Sidonie.
— Je n'en crois pas un mot, trancha-t-elle en déposant le bref sur une petite table qui, à quelques pas de là, supportait un chandelier.
Elle se tourna vers Marthe :
— Descends prévenir le coursier que nous aurons besoin de lui avant longtemps et referme la porte sur toi.
Sidonie attendit que sa chambrière se fût exécutée pour se rapprocher de Jacques et glisser entre les doigts qu'il avait croisés sur ses reins une main secourable.
Fuir aurait été pire. Algonde s'était réconfortée un instant de l'idée que, comme le cavalier, Marthe serait descendue sans se douter de sa présence. Il n'y fallait plus compter. Elle s'appliqua à donner le change en astiquant le parquet, mais à peine Marthe les eut-elle isolées qu'elle se sentit découverte.
Algonde fit semblant de ne pas s'en inquiéter, le nez rasant le sol, mais la douleur lui fut soudain si vive qu'elle hurla. Protégée du bruit par l'épaisseur de la porte, Marthe s'était penchée brusquement au-dessus d'elle pour lui empoigner la natte à hauteur de la nuque et la forcer à se redresser.
— Regardez donc quelle vilaine souris je viens de prendre. N'en as-tu pas assez de te trouver dans mes griffes ? grinça-t-elle en tirant plus fort.
Algonde eut l'impression qu'elle lui arrachait le cuir chevelu. Elle porta instinctivement les deux mains à sa nuque, bien décidée à se défendre.
— Lâche-moi ! rugit-elle, en pivotant pour se dégager.
— Tais-toi donc, mauvaise bête, renchérit Marthe à mi-voix, ou je te fais battre pour avoir voulu espionner.
— Je n'espionnais pas et je ne me tairai pas ! décida-t-elle en haussant exagérément le ton.
Cette fois, quoi qu'il advienne, elle ne se laisserait pas humilier. La cruauté du regard de la chambrière qui s'acharnait sur elle la rendit enragée. La porte s'ouvrit sur Sidonie, intriguée par son éclat, au moment où elle plantait ses dents dans l'avant-bras de l'infâme. Trop tard pourtant pour empêcher une gifle retentissante de lui cingler la joue.
— Petite garce, vas-tu en finir ou faudra-t-il que je te…
Marthe n'acheva pas. La main qu'elle avait levée pour frapper encore demeura suspendue en l'air par la poigne de Sidonie.
— Il suffit!
Le bras retomba.
— Je l'ai surprise en train d'écouter aux portes.
— Est-ce vrai, Algonde ?
— Quel intérêt aurais-je ? mentit la jouvencelle, d'autant plus effrontément qu'elle refusait de laisser la part belle à son bourreau.
Marthe ricana :
— Médire, parbleu ! Elle espionnait, je vous dis.
— Non. Je faisais briller le parquet que j'ai ciré hier, renchérit Algonde en récupérant son chiffon avant de se redresser.
Elle le brandit comme preuve et ajouta :
— J'allais redescendre, mon ouvrage achevé, quand cette furie m'a agressée.
— As-tu entendu ce qui se disait ? demanda Sidonie.
— J'étais à mes pensées, Votre Seigneurie… commença la jouvencelle avant de se reprendre, gagnée par le souvenir de ce qu'elle avait perçu : réfuter l'évidence aurait plus sûrement trahi ses intentions.
— … mais la porte était ouverte et vous sembliez en peine.
Marthe jubila :
— Là, voici enfin, garce.
— Je ne suis pas une intrigante, lui rétorqua Algonde.
Sidonie en eut assez. Elle était suffisamment en souci pour se laisser distraire plus longtemps. Elle
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