Le Conseil des Troubles
commencer...
20.
L'homme, un chauve au visage dur, avait été vu en faction devant la porte d'un sinistre hôtel particulier de la rue Garance. C'est lui, et nul autre, qui accueillait les très rares visiteurs d'Heinrich von Ploetzen. Lui encore qui ouvrait les portes aux voleurs d'enfants amenant en ces lieux effrayants ce qu'il appelait « la chair fraîche ».
En cet instant, moins rassuré qu'il ne voulait le laisser paraître, il se trouvait enchaîné à un mur, bras écartés, tel le Christ en croix.
Deux hommes aux visages indifférents l'avaient déjà frappé, alternant coups de poings précis, lesquels provoquaient une fugitive souffrance, et gifles peu douloureuses mais humiliantes.
Cependant, les deux tortionnaires inquiétaient moins le chauve que l'homme vêtu d'un habit bleu marine et d'un feutre gris à plumes noires qui se trouvait un peu en retrait, silencieux, le menton au creux de la main et l'air songeur.
La nervosité du chauve, enlevé cinq heures plus tôt, devint telle qu'il pensa se soulager en éructant :
— Regardez! ... Regardez bien!
Il baisa la tête vers sa poitrine et reprit d'une voix qui se voulait amusée et méprisante mais frappait surtout pour sa fausseté :
— Il y a dix ans, on m'a arraché les tétons... Ah, ah, ah!... Les deux, à la tenaille... Je n'ai pas parlé. Je ne parlerai jamais!
Pour la seconde fois depuis qu'il était entré dans la cave dix minutes plus tôt, Giovanni Gazzi, marquis de Pontecorvo et général des Jésuites, leva les yeux sur le portier qui frémit de peur sous ce regard glacé.
Puis Pontecorvo s'approcha du chauve et, d'un geste inattendu, lui tordit le nez. Les doigts paraissaient d'acier et le chauve, dont les yeux s'embuèrent de larmes sous l'effet de la douleur, eut l'impression que son nez se trouvait pris en une terrible pince.
Lorsque Pontecorvo retira sa main, il ne fut pas sans noter avec une certaine satisfaction que sa victime le regardait en roulant des yeux affolés.
C'est ainsi qu'il aimait voir les choses se dérouler, professant à ceux qu'il formait qu'une bonne part de la terreur venait moins de la douleur physique que de l'empire qu'on prenait sur la victime. Être expulsé de soi, ne plus réagir qu'en fonction de son tourmenteur, c'est un abaissement de l'âme et qui perd le respect de soi ne tarde pas à dénoncer jusqu'à sa propre mère si nécessaire.
Homme lettré, Pontecorvo avait lu avec intérêt les « dossiers noirs », ceux qu'on avait bien dissimulés, inaccessibles, en une pièce secrète du palais du Vatican. Là se trouvaient consignés des siècles et des siècles d'observation de membres éminents de la Sainte Inquisition et il fut frappé que les plus intelligents, parmi ces hommes d'Église, privilégiaient moins la torture physique que le travail effectué sur l'esprit du présumé coupable d'hérésie.
Le visage du général des Jésuites se trouvait tout proche de celui du chauve tandis qu'il prononçait ses toutes premières paroles :
— Avec moi, tu parleras.
Voilà, quatre mots très simples, un ton tranquille et pas même menaçant, plutôt l'expression de l'évidence, d'une assurance que le déroulement imminent des faits serait sans surprise.
Les deux assistants de Pontecorvo, hommes aux visages impénétrables, saisirent une des mains tenues au mur, à hauteur du poignet, par un bracelet d'acier.
Pontecorvo ouvrit alors une boîte, en sortit un petit maillet d'ivoire et quelques épingles d'argent. Puis, il précisa avec obligeance :
— En Chine, nous avons beaucoup appris. Souventes fois à nos dépens mais les très rares frères survivants sont revenus si riches d'expérience...
Il saisit un des doigts du chauve, enfonça légèrement l'épingle sous l'ongle puis, avec le maillet, il tapa dessus très lentement, tout doucement.
Dès le premier coup, le chauve ouvrit la bouche, stupéfait, mais aucun son n'en sortit tant il ne soupçonnait pas l'existence de pareille souffrance.
Au second coup de maillet, alors que l'aiguille d'argent se frayait un chemin à travers les nerfs en les transperçant, le chauve hurla.
Comme il allait donner un troisième coup de maillet, Pontecorvo suspendit son geste et, d'une voix douce :
— Vous disiez quelque chose ?
— Tout !... Je vous dirai tout !
Le général des Jésuites soupira :
— Ne vous l'avais-je pas prédit?
***
La marquise d'Ey ouvrit la porte et marqua une légère surprise en découvrant Baptiste de Tuboeuf
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