Le discours d’un roi
semble que ce soit Myrtle qui eut l’idée, deux ans plus tard, d’un tour du monde ambitieux. Le couple partirait pendant six mois, traversant l’Australie vers l’est, puis le Pacifique en direction du Canada et des États-Unis et enfin, ayant traversé l’Amérique, rentrerait au pays en passant par la Grande-Bretagne et l’Europe. Les frais du voyage seraient couverts en partie par une somme d’argent avancée par l’oncle de Lionel, Paris Nesbit, avocat haut en couleur qui s’était lancé dans la politique. Le petit Laurie, qui venait tout juste de fêter ses deux ans, resterait à la maison sous la garde de Myra, la mère de Myrtle.
Le projet répondait avant tout à un désir simple, celui de voir le monde. Mais Logue tenait également à accroître son expérience professionnelle. Il était maintenant une personnalité connue de Perth, grâce à ses récitals et aux nombreuses pièces dans lesquelles il avait joué ou qu’il avait mises en scène. Les activités de son cabinet se développaient, il travaillait avec des hommes politiques et d’autres notables locaux, les aidant à améliorer leur élocution – tout en restant d’une modestie exemplaire. Quand un journaliste lui demanda le nom de quelques-uns de ses patients, il répondit en guise d’explication : « Un orateur préfère que son auditoire s’imagine que son discours est un don de la nature sans préméditation, et non le résultat d’une longue et patiente étude. »
On trouvait alors en Amérique beaucoup des grands noms du monde de l’élocution et de la rhétorique, et Logue brûlait d’apprendre auprès d’eux. Apparemment, Myrtle et lui avaient aussi envisagé de s’implanter à l’étranger, s’ils trouvaient quelque chose qui leur plût au cours de leur voyage, et de s’arranger alors pour que leur fils et la mère de Myrtle les rejoignent. Les longues lettres que Myrtle (et Logue dans une moindre mesure) écrivirent aux leurs brossent un tableau vivant de leur aventure.
Ils partirent de chez eux le jour de Noël 1910, contournant l’Australie vers l’est par bateau, faisant escale plusieurs jours à Adélaïde, Melbourne, Sydney et Brisbane. Le port de Sydney, d’après Myrtle, était « magnifique – superbe – aucune langue n’y suffit ». Elle fut moins impressionnée par Brisbane, « un endroit terrible – arriéré, malsain, brûlant comme l’Enfer ». À chacune de leurs étapes, ils avaient tout le temps de rendre visite à leurs amis et à leurs proches. Lionel, ou « Liney », comme Myrtle le surnomme dans ses lettres, impressionnait les autres passagers par ses talents au cricket, au golf et au hockey. Toujours prompt à jouer les conteurs, il tirait parti de ses capacités d’orateur pour régaler les passagers et l’équipage de ses histoires.
Le petit Laurie ne tarda évidemment pas à leur manquer, et ils s’inventèrent toutes sortes de raison pour se justifier de l’avoir laissé à la maison. « Je ne m’autorise pas à trop penser à mon petit garçon, par peur de pleurer, écrivit Myrtle dans une de ses premières lettres à sa mère. Il était si mignon quand je suis partie, “Ne pleure pas, maman” – “Ne le laisse pas m’oublier, mère chérie”. […] Ces six mois seront bien vite passés et nous reviendrons, avec de merveilleuses expériences et un regard nouveau, merveilleusement élargi, sur la vie. »
La deuxième partie de leur voyage, la traversée du Pacifique, se révéla plus rude. Malade, Logue passa les huit premiers jours après leur départ de Brisbane allongé sur sa couchette sans manger. La houle n’était pas la seule responsable. L’eau potable qu’ils avaient embarquée à Brisbane était contaminée, et plusieurs passagers furent malades. Logue était persuadé d’être atteint de saturnisme. « A-t-on jamais vu pire marin, le pauvre chéri – je ne sais ce qu’il adviendrait de lui s’il était seul, écrivit Myrtle. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. »
La situation s’améliora quand ils eurent atteint Vancouver et la terre ferme, le 7 février. De là, ils continuèrent par Minneapolis et St. Paul jusqu’à Chicago, où ils prirent une chambre au YMCA avec vue sur le lac Michigan pour cinq dollars par semaine. La ville, écrivit Myrtle, était « censée être une des plus mal famées du monde », mais contrairement à ce qu’ils avaient cru, ils l’adorèrent. Ils n’avaient compté y séjourner qu’une
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