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Le Fardeau de Lucifer

Le Fardeau de Lucifer

Titel: Le Fardeau de Lucifer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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n’était plus animé que par le chant des oiseaux sous un chaud soleil du Sud. N’eût été la raison de notre voyage, j’aurais eu l’impression de faire une balade d’agrément. Mais malgré le plaisir que j’éprouvais à retrouver Sauvage, qui me le rendait en s’ébrouant joyeusement, je me sentais triste. Je retournais vers le lieu où j’avais perdu mon maître. Nous emportions avec nous un linceul en lin blanc dans lequel nous espérions envelopper la dépouille.
    Quand nous arrivâmes à destination, nous fûmes à même de constater la hâte avec laquelle Montfort avait levé le camp. Les quelques tentes encore intactes avaient été abandonnées et leur toile battait tristement dans la brise, donnant à l’endroit des airs de village fantôme. Çà et là, des quartiers de viande desséchés et couverts de mouches étaient encore embrochés au-dessus de feux éteints. Des vêtements et des couvertures traînaient sur le sol. La plupart des croisés tués pendant les deux semaines du siège avaient été brûlés ou jetés dans les fosses communes qui avaient été hâtivement comblées. Les bêtes sauvages s’étaient empressées d’en retirer leur pitance, et des membres à demi dévorés traînaient un peu partout. Par contre, ceux qui avaient perdu la vie pendant l’ultime sortie de Roger Bernard avaient été laissés là et se décomposaient à l’air libre. La puanteur était immonde et, même si Ugolin et moi avions vu notre part d’horreurs au cours des dernières années, il nous fallut toute notre volonté pour ne pas nous vomir les entrailles. Conseillés par Pernelle, nous avions emporté des mouchoirs imbibés de camphre que nous nous empressâmes de nouer derrière notre nuque pour en faire des masques. Un peu protégés de l’odeur et, nous l’espérions, des miasmes qui transmettaient la maladie, nous mîmes pied à terre et attachâmes nos montures.
    Nous nous dirigeâmes presque à contrecœur vers la grande tente au milieu du camp, là où étaient survenues les horreurs de notre captivité. À l’entrée, nous nous regardâmes, hésitants. Ni Ugolin ni moi ne voulions vraiment y pénétrer, sachant ce que nous risquions de trouver et les souvenirs que cela raviverait.
    —    On y va ? demandai-je d’une voix moins assurée que je ne l’avais souhaité.
    —    Après toi, soupira le Minervois, aussi pâle que le linceul qu’il tenait plié sous son bras.
    J’écartai la toile et nous pénétrâmes à l’intérieur. La puanteur y était encore pire et nos masques n’avaient plus d’effet. En essayant de respirer par petites bouffées pour ne pas trop goûter l’air, je laissai mes yeux s’habituer à la pénombre. Peu à peu, la scène prit forme. Raynal était là où je l’avais occis, la gorge ouverte, la bouche aux lèvres racornies remplie de ce qui avait été ses parties intimes, mais qui n’était plus maintenant qu’une forme brunâtre et desséchée. Les braies toujours autour des chevilles, le cadavre méconnaissable était verdâtre et gonflé. Sa peau semblait avoir perdu sa consistance pour se liquéfier, exposant çà et là des tissus noircis. Des larves blanches et des insectes s’affairaient un peu partout, sortant des narines, de la bouche, des oreilles et des yeux. Sous le corps s’était accumulée une flaque de liquide épais qui avait détrempé les vêtements. Je ne pus m’empêcher de remarquer que le traître avait eu si peu d’importance aux yeux de Montfort que son corps avait été abandonné comme la plus vile des ordures.
    —    Tu voulais te faire chrétien pour sauver ta peau, eh bien, j’espère que tu brûles dans leur enfer, maudit Judas, gronda Ugolin en administrant un coup de pied au cadavre qui émit un bruit mouillé.
    Vint le moment tant redouté. Un peu plus loin gisait Montbard sur le dos, les yeux fermés. Il était dans le même état que Raynal et je ne pus m’empêcher de déplorer l’indignité que la mort lui imposait. De sa carrure impressionnante, de sa force, de son agilité, de sa ténacité, de son courage, de sa droiture, il ne restait que des ruines obscènes. La déchéance de la mort ne l’avait pas épargné.
    —    Omnia mors æquat 3 . murmurai-je tristement.
    Après avoir étendu le linceul à côté de lui, nous surmontâmes notre répugnance et l’empoignâmes par les vêtements pour le soulever. Nous le déposâmes avec respect sur la toile pour l’envelopper de notre

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