Le Fardeau de Lucifer
percevait comme son devoir.
Montbard réfléchit un moment.
— Raynal était à Quéribus pour prendre charge de la cassette. Avec Eudes et Esclarmonde, il m’a accueilli dans l’Ordre et Ravier n’a eu qu’à confirmer ma réception. Cela veut quand même dire quelque chose.
— J’ose l’espérer, oui. Et en route vers Montségur, il a défendu la cassette au prix de sa vie. L’argument d’Esclarmonde à mon sujet vaut aussi pour lui : s’il avait voulu s’emparer de la Vérité, c’eût été le moment idéal.
Je cessai mes déambulations et revins m’asseoir près de mon maître.
— Jaume, pour sa part, semblait pencher du côté de Raynal, mais seulement par logique et sans beaucoup de conviction. Il cherchait surtout à comprendre, je crois. Quant à Véran, il était plutôt mal à l’aise avec les soupçons de Raynal et il ne l’a pas appuyé. Une chose est certaine : il prend sa tâche au sein de l’Ordre très au sérieux et vit très mal le fait que quelqu’un ait réussi à s’introduire dans le temple alors qu’il est responsable de la garde. Il le ressent comme un échec personnel.
— Et Daufina ? s’enquit mon maître.
— Elle n’a rien dit du tout. Elle semblait effondrée et avait les larmes aux yeux. M’est avis qu’il faudrait savoir depuis quand les Parfaites sont à Montségur. Plus leurs racines y sont longues, moins elles sont susceptibles de trahir.
— Bon, il faudra les éliminer un à un, et sans délai. Le temps presse. Par qui commenceras-tu ?
— Raynal, répondis-je aussitôt.
— Gare, jouvenceau. C’est une tête chaude et il n’est pas homme à laisser souiller son honneur.
— Je m’en souviendrai.
Je me levai et me dirigeai vers la porte.
— Je reviendrai vous voir ce soir.
Lorsque je me joignis à l’entraînement, quelques heures plus tard, je n’avais pas le cœur aux joies de l’exercice. L’âme encore moins. Mais Raynal était celui sur lequel se portaient mes plus lourds soupçons et j’étais déterminé à l’affronter sans tarder. Le combat est une des mesures les plus justes d’un homme. Dans le tourbillon des armes, les faux-fuyants, les regards dérobés, les mensonges ne sont plus possibles. Tout est réduit à sa plus simple expression.
À peine arrivé, je repérai Raynal. Il était seul, à l’écart des soldats qui commençaient à s’échauffer, et n’avait d’yeux que pour moi. L’expression que j’y voyais était sans équivoque. Il me soupçonnait toujours. Tout dans son attitude trahissait la méfiance et l’antipathie. Je dois admettre que je partageais en bonne part ces sentiments. Je n’avais pas apprécié que mon honneur soit mis en doute devant les Neuf et mon déplaisir était encore vif. J’aimais encore moins le fait qu’il puisse être celui qui mettait mon salut en péril.
D’un pas déterminé, je me dirigeai vers lui. Mon attitude devait être claire car, dès que je fus assez proche, il dégaina son épée sans un mot. En tirant Memento, avant même d’être parvenu à sa hauteur, je savais que j’entrais dans autre chose qu’une simple séance d’entraînement. Après tout, si Raynal avait quelque chose à cacher, quoi de plus facile que d’éliminer celui sur lequel il avait fait peser si ouvertement les soupçons, pour ensuite brandir triomphalement les documents volés qu’il détenait comme preuve de ma culpabilité ? Un mort ne pouvait pas prouver son innocence. Mais pour cela, il devait d’abord venir à bout de moi.
Mon maître m’avait souvent répété que, pour survivre, je devais connaître mon adversaire aussi bien que moi-même. Aussi prenais-je Raynal très au sérieux. Je l’avais vu tenir tête à Bertrand de Montbard, exploit auquel bien peu d’hommes pouvaient prétendre. Il l’avait même blessé, peut-être accidentellement, mais malgré ce qu’il avait prétendu, rien n’était moins sûr. Je savais qu’il alliait force et agilité. Le sous-estimer serait la pire des erreurs.
Lorsque nous fûmes face à face, nous nous dévisageâmes un instant, aucun ne souhaitant baisser les yeux. Le combat s’engagea sans qu’un seul mot soit prononcé. Raynal porta le premier coup de sa longue épée templière. Déterminé à ne pas m’en laisser imposer, je tirai avantage de la maniabilité de Memento pour faire dévier son arme et contre-attaquer avec vigueur, faisant pleuvoir les coups de
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