Le Gerfaut
« son cher petit général Fend-la-Bise » ce qui plongea le dernier des La Fayette dans un abîme de perplexité mais l’amusa beaucoup.
Il ne lui resta plus qu’à faire véhiculer le lieutenant jusqu’à sa tente où on le coucha et où il se mit à ronfler avec application.
— Nous voilà tranquilles au moins jusqu’à demain, soupira le Marquis. Le pronostic d’avenir est excellent mais quelle diable d’idée ce garçon a-t-il eue de s’enticher d’une femme rouge ?
— Je l’ai aperçue au moment de son départ, dit le colonel Poor, et, si vous voulez mon avis, je considère que le général Washington a été sage de la tenir hors de vue des hommes. Elle aurait mis le feu à l’armée tout entière.
— Diantre ! Vous allez me donner des regrets ! Je commence à comprendre le jeune Goëlo… et à l’envier.
À son réveil, cependant, Gilles ne se trouvait pas enviable le moins du monde. Il avait une affreuse gueule de bois et l’impression que la fin du monde était proche… En plus, quand il se risqua hors de sa tente, il s’aperçut qu’il pleuvait à plein temps et que tout le camp flottait sur un océan de boue. Il eut cependant la sagesse de ne pas permettre au souvenir de Sitapanoki la traîtresse de revenir le hanter car, si le côté sentimental de son amour sombrait inexorablement dans le dégoût et le mépris, cela ne lui faisait pas perdre pour autant le souvenir des nuits brûlantes vécues avec elle. Il fallait venir à bout du désir.
Quand il eut surmonté une violente nausée et que le sol lui parut avoir retrouvé quelque stabilité, il alla, très protocolairement, remercier La Fayette dont il avait malgré tout perçu la sollicitude à travers les fumées de l’alcool. Il le fit sans la moindre gêne car leur commune expédition à New York lui avait enfin fait apprécier le jeune Général dont l’aventure l’avait hanté à Vannes et qui l’avait tant déçu à Rhode Island. En dépit de sa voix perchée et d’un certain contentement de lui-même, le Marquis auvergnat ne manquait pas de charme. Doué d’un courage à toute épreuve ainsi que d’une parfaite courtoisie, il était en effet, totalement dépourvu de morgue. En outre, il avait l’art de s’attacher les hommes et, mis à part Washington qui le traitait en fils il avait su s’attirer le dévouement aveugle des quelque 2 000 hommes, soldats réguliers et miliciens à demi sauvages, qui composaient sa brigade. Il s’occupait en effet d’eux avec une attention de mère, dépensant largement sa fortune, l’une des plus belles de France, pour leur équipement. Sans arrêt Mme de La Fayette recevait des lettres pleines de tendresse et de demandes d’argent. Quant aux belles dames de Philadelphie où Washington l’envoyait volontiers exercer sa séduction, il était parvenu à leur faire coudre une infinité de chemises et tricoter des montagnes de bas pour sa « légion ». Il aimait d’ailleurs les femmes (ce qui ne l’empêchait pas d’aimer la sienne) et ne s’en cachait pas.
— Vous n’avez pas à vous excuser, dit-il à son lieutenant quand celui-ci vint faire amende honorable, j’ai fait exactement la même chose que vous avant de quitter la France. J’étais follement épris d’une fort belle dame mais comme je n’étais pas le seul, elle me traita fort mal et j’ai plus d’une fois demandé l’oubli à une vieille bouteille de Bourgogne. Comment vous sentez-vous, ce matin ?
— Honteux, vexé… et follement désireux de me battre… de préférence contre les Iroquois.
— Excellente chose ! Mais les Iroquois me paraissent sans intérêt quand il y a, si près de nous, cette superbe collection d’Anglais et de Hessois dont nous pourrions faire si grande chaire ! Dirai-je que vous me plaisez de plus en plus, monsieur ?
— Vous aussi, mon Général ! Puis-je seulement vous rappeler que je n’ai pas connu mon père et que mon nom est celui de ma mère ?
— Pourquoi voulez-vous que je me montre plus difficile que le général Washington ? Dans ce pays un homme en vaut un autre… et puis nous appartenons l’un et l’autre à une vieille race qui n’a pas grand-chose à voir avec les envahisseurs francs qui ont baptisé notre pays. Vous êtes Breton donc Celte, je suis Auvergnat donc Gaulois !
— Gaulois ?
— J’espère très fermement l’être parce que très peu de Francs s’établirent dans les montagnes d’Auvergne. J’aime
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